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EN RUSSIE

INDUSTRIES DE VILLAGE

Pendant mon séjour à Pétersbourg, quelqu’un me montra mystérieusement une certaine caricature du Tsar qui ne l’aura nullement offensé si jamais elle est tombée sous ses yeux, car elle n’exprime rien de plus que les difficultés indiscutables de la situation. Nicolas II est représenté pliant sous le faix d’une pyramide humaine ; il porte sur ses épaules le bon géant Tolstoï, qui, lui-même, sert de piédestal à un tout petit personnage très vivant, très remuant, malgré sa taille exiguë et qui certes grandira, qui déjà, quoiqu’il ne fasse que de naître, paraît passablement incommode. C’est le prolétariat des villes. Le pope cramponné à l’une des jambes du tsar, le soldat qui embrasse son autre jambe et l’étudiant qui se pousse entre les deux achèvent d’expliquer la légende que ne manquerait pas de ratifier l’empereur : « Quel lourd métier ! »

Mais on voudrait savoir ce que dit de son côté Tolstoï dont le socialisme évangélique a peu d’analogie avec celui des Marxistes résolus à n’appuyer le leur que sur des principes purement économiques. Lui aussi doit être mal à l’aise, ne reconnaissant plus, dans le peuple qui surgit, ses chers paysans, humblement, chrétiennement résignés. Ils commencent à se transformer en ouvriers des villes, aussi peu disposés que partout ailleurs à tendre la joue gauche quand ils ont été souffletés sur la joue droite. Un événement considérable à l’égal de celui qui jadis changea un empire presque asiatique en grande puissance occidentale s’est récemment produit. L’immense pays agricole est en