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Par tous les chemins, pour ainsi parler, et de quelque manière que nous posions la question, nous sommes donc ramenés à notre point de départ, et notre conclusion ne le confirme pas seulement, mais à vrai dire elle le rejoint. Toute religion est une « sociologie. » Une religion peut être autre chose, nous ne saurions trop le répéter. Une religion peut être une « physique » ou une « cosmologie, » une interprétation de la nature, l’expression des rapports que l’homme soutient ou croit soutenir avec les puissances naturelles, amies ou ennemies, dont il est comme enveloppé ; et ce sont alors les religions helléniques. Une religion peut être, comme la religion des anciens Romains, une « discipline » ou une politique, je veux dire une sanction d’en haut, qui garantisse à ses participans la durée du contrat de puissance et de gloire qu’ils ont passé avec leurs dieux. Ou bien encore, et comme le bouddhisme, une religion peut être un moyen de salut, « la voie de l’affranchissement, » une manière de se libérer, en en détruisant le principe en soi, des maux donnés comme inséparables de l’humaine condition. Mais, explication du monde, discipline pratique, ou préparation au Nirvana, ce que toute religion est toujours, et ne peut pas ne pas être, c’est une sociologie. J’ai tâché de le montrer dans l’histoire. J’ai tâché de faire voir en second lieu que l’individualisme, « obstacle et négation de toute société » — ce sont les expressions du sage Vinet, — n’était qu’un autre nom de ce que les théologiens de toutes les religions ont appelé du nom d’hérésie, et qu’ainsi tout ce qu’il gagnait de terrain, c’était la religion, mais aussi la sociologie qui le perdait du même coup. Et j’ai tâché de montrer enfin que, tout mouvement social ayant quelques traits d’un mouvement religieux, c’était encore une preuve de la « nécessité » des liens qui joignent l’une à l’autre la religion et la sociologie. On en trouvera d’autres preuves, et admirablement développées, dans les premiers chapitres du livre de. M. Benjamin Kidd sur l’Évolution sociale. Mais elles ne rentraient pas dans le plan de mon sujet ni du sujet plus général dont cette étude n’est qu’un fragment, et, à la vérité, je n’ai pas cru devoir m’astreindre à ne rien dire que n’eût dit avant moi, ou indiqué, Auguste Comte, mais je ne me suis proposé cependant que d’utiliser les données du positivisme, et, en les prolongeant dans leur propre direction, je n’ai voulu qu’établir la solidité du principe par la vérité de ses conséquences.