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jamais été dans l’histoire l’œuvre d’un profond calcul ou d’un dessein longuement prémédité. Les révolutions sociales ou religieuses ne savent même jamais exactement ce qu’elles veulent, et, comme les forces de la nature, elles agissent dans une entière inconscience de leurs propres résultats. Le principe de leur force est dans l’incertitude ou dans le vague de leurs intentions. Il y a toujours quelque chose de mystérieux dans leurs causes, et d’imprévu dans leurs effets. « Alexandre ne croyait pas travailler pour ses capitaines… Quand les Césars flattaient les soldats, ils n’avaient pas dessein de donner des maîtres à leurs successeurs et à l’Empire. » A plus forte raison les ouvriers de la Révolution ou de la Réforme n’ont-ils su ni pour qui ni dans quel dessein ils travaillaient. Mais ce qu’ils n’ont pas ignoré, c’est qu’à tout prix, et au hasard de ce qu’il en pourrait advenir, ils voulaient refaire la société dans laquelle ils vivaient, et ce que l’histoire nous enseigne, c’est qu’en pareille occurrence, l’ivresse de leur colère ou de leur enthousiasme a toujours porté avec elle quelque chose de religieux.

« Quelque chose de religieux ! » Si nous disons en effet qu’une révolution religieuse ne peut pas ne pas être sociale, nous ne disons pas qu’inversement une révolution sociale ne puisse pas ne pas être une révolution religieuse, mais seulement qu’elle affecte toujours un caractère plus ou moins religieux. Il y a une religion de la Révolution, mais nous ne voulons pas dire que la Révolution soit elle-même une religion. Nous disons qu’en un certain sens, — et nous croyons l’avoir montré, — toute religion est une « sociologie. » Nous ne disons pas que toute « sociologie » soit une religion. Et encore bien moins voulons-nous dire qu’au fond de toute religion il n’y ait rien d’autre ni de plus qu’une « sociologie. » Si nous le disions, ce ne serait plus « utiliser, » sauf à les « transformer » au besoin, les données ou les conclusions du positivisme, ce serait les accepter pleinement, nous y ranger sans plus, et nous-mêmes nous déclarer « Comtistes. » C’est ce que nous ne faisons pas, et je suis bien aise d’en avertir ceux qui veulent bien s’intéresser à cette série d’études. L’identification absolue de la religion et de la sociologie, l’équation parfaite qu’il établit entre ces deux termes est la chimère d’Auguste Comte. C’est ainsi que Lamennais, en son temps, a essayé, lui, d’identifier les deux termes de « christianisme » et de « démocratie. » Nous n’allons pas aussi