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entre toutes, car la musique pour lui ne fut que douceur. Il n’y a pas un passage du Purgatoire ou du Paradis qui n’en rende au besoin témoignage.


L’hymne Te lucis ante s’échappa de sa bouche avec tant de dévotion et avec des modulations si douces, qu’elle me fit oublier à moi-même.

Puis les autres, dévotement et doucement, l’accompagnèrent jusqu’au bout de l’hymne.


« Je suis, chante ailleurs une ombre féminine, je suis la douce sirène. Io son, cantava, io son dolce sirena. »

Elle chantait, ajoute le poète,


per modo
Tal, che diletto e doglia parturie,


et pour Dante, la musique ressembla toujours à cette femme : toujours elle lui fit plaisir et peine à la fois.

Le plaisir pourtant l’emporte et la mélancolie, qui le tempère ou le voile, ne le corrompt jamais. Tantôt la suavité des chants divins enivre le poète, tantôt elle l’assoupit et le plonge dans une extase qui ressemble au sommeil. Au seul souvenir des célestes cantiques son âme se fond, et pour les répéter son imagination, dit-il, aurait trop de vivacité, sa parole trop peu de douceur. Dolce, dolcemente, voilà les termes qui reviennent sans cesse ; voilà, selon Dante, le caractère ou l’éthos général de la musique. Il l’associe de préférence à l’ordre des sentimens bienveillans et tendres. Pas une seule fois il ne fait d’elle, comme il fait si souvent de la poésie, l’interprète de la colère, de la haine ou du désespoir. C’est pour cela qu’il ne la rencontre que dans le Purgatoire et dans le Paradis : dans la région où le bonheur se prépare et dans celle où il se consomme. Elément de paix et non de passion, la musique agit sur Dante et ne l’agite point. Des deux principes opposés que les anciens distinguaient en elle, venant l’un d’Apollon et l’autre de Bacchus, il ne reconnaît et ne subit que le principe apollinien. Sensible au bienfait, il échappe au maléfice. Qu’ils soient d’amour divin ou profane, tous les chants, pour lui, sont d’amour.

Cet art qu’il aimait tant l’a fait lui-même plus aimable. Lorsqu’il parle de la musique, et rien qu’à sa manière d’en parler, on découvre un Dante non pas ignoré, mais trop peu connu, et que souvent un autre cache. « Quiconque, a dit très bien Montégut, ne