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second Faust, que la Divine Comédie à coup sûr inspira. Ainsi, dans l’ordre entier de la musique et dans toute son histoire, la poésie dantesque a des racines profondes et, la symphonie instrumentale exceptée, il n’est rien de notre art que Dante autrefois n’ait deviné, rien qu’il ne nous rappelle aujourd’hui.


V

Il n’en est rien non plus qu’il n’ait compris et qu’il n’ait aimé. Si la parole chantée le ravit, il sent aussi la beauté de la musique pure ; non seulement d’un accord ou d’une mélodie :


Una melode,
Che mi rapiva senza intender l’inno [1],


mais d’une note on d’un son isolé. Il écoute, charmé, l’horloge appelant à matines les épouses du Seigneur, avec un tintement si doux, que l’âme pieuse se gonfle d’amour[2]. A chaque heure du jour Dante prête une voix. Le matin, il entend « l’hirondelle commencer ses tristes chansons, peut-être en souvenir de ses premières douleurs. » Et parmi les « soirs » sans nombre que la musique a célébrés, je n’en sais pas de plus musical que les deux fameuses terzines par où s’ouvre le huitième chant du Purgatoire :


Déjà c’était l’heure qui tourne vers la terre les regrets des navigateurs et qui attendrit leurs cœurs à la pensée du moment où ils dirent adieu à leurs doux amis ;

L’heure qui blesse d’amour le nouveau pèlerin, s’il entend de loin la cloche qui semble pleurer le jour près de mourir[3].


Le poète pouvait bien associer la musique à l’heure douce

  1. Parad., XIV.
  2.  ::Indi, corne orologio, che ne chiami
    Nell’ ora che la sposa di Dio surge
    A mattinar lo sposo perchè l’ami,
    Che l’una parte l’altra tira ed urge,
    Tin tin sonando con si dolce nota,
    Che’l ben disposto spirto d’anior turge. (Parad., X.)
  3.  ::Era già l’ora che volge ‘i disio
    Ai naviganti e intenerisce il cuore,
    Lo di ch’han dette a’ dolci aniici addio ;
    E che lo nuovo peregrin d’amor
    Punge, se ode squilla di lontano,
    Che paia il giorno pianger che si muore. (Purg., VIII.)