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Malte seule, fidèle aux statuts de son ordre qui lui interdisaient de traiter avec les musulmans, donnait sans relâche la chasse aux Barbaresques ; mais les chevaliers, sur lesquels l’Europe semblait se reposer de ce soin, ne pouvaient armer de forces suffisantes pour détruire la piraterie.

Il eût fallu, pour l’anéantir, une action combinée des nations chrétiennes qui permît l’occupation des villes corsaires d’une façon solide et durable. Le sieur de Brèves, qui avait longtemps représenté la France à Constantinople, et qui avait été envoyé en mission dans les États Barbaresques, rêvait cette action combinée pour la destruction des Ottomans. « Le Turc, exposait-il dans un mémoire adressé au roi Louis XIII, ne se doit pas attaquer avec une petite puissance ; mais j’assurerais, si les princes chrétiens se voulaient résoudre à une union générale, que, dès la première année ils le bouleverseraient par mer et par terre. » C’est cette union générale qu’il était téméraire d’espérer entre « princes tant de l’une que de l’autre créance » et toujours prêts à entrer en conflit les uns avec les autres « sur la démarche de la précédence. » Une autre difficulté était à prévoir, et Brèves y songeait. Que ferait-on de la conquête ? « Il serait nécessaire, ajoutait-il, si cela était agréé desdits princes, qu’il se fît un projet de partage afin que, Dieu permettant la victoire, l’on évitât les débats qui pourraient, pour cet égard, avoir lieu entre eux[1]. » Dans un langage moins simple et qui sent son philosophe du XVIIIe siècle, Raynal, en 1770, préconisait la formation d’une « ligue universelle » pour la destruction des pirates barbaresques. « Aucune nation, écrivait-il, ne peut la tenter seule et, si elle l’osait, peut-être la jalousie de toutes les autres y mettrait-elle des obstacles secrets et publics. Ce doit être l’ouvrage d’une ligue universelle. Il faut que toutes les puissances maritimes concourent à l’exécution d’un dessein qui les intéresse toutes également. » Raynal supposait avec raison, comme le sieur de Brèves, que la réalisation de son plan entraînerait l’occupation des États Barbaresques et il traçait de la future conquête un tableau enchanteur qui fera sourire ceux qui se rappelleront

  1. François Savary, marquis de Maulevrier, sieur de Brèves, qui avait quitté en 1606 l’ambassade de Constantinople, dut composer son mémoire à l’époque où le Père Joseph agitait son projet de croisade contre les Turcs ; il a été imprimé sous le titre Discours abrégé des asseurez moyens d’anéantir et ruiner la monarchie des princes ottomans, s. l. n. d.