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Eh conséquence ils conduisirent de force à Rotterdam le Prophète Daniel et le firent vendre en 1659 pour acheter aux Salétins un bateau de même tonnage qu’ils convoyèrent à Salé[1].

Le champ le plus habituel des opérations des Salétins était l’Atlantique, où ils croisaient depuis les Canaries jusqu’aux environs de Brest. C’est dans cette partie de l’Océan que furent capturés tant de vaisseaux marchands des ports de Bayonne, de Bordeaux, de La Rochelle, de Nantes, du Havre, de Dieppe et de Dunkerque, — pour ne parler que des Français — qui allaient négocier sur les côtes du Portugal, acheter des vins à Madère, ou qui faisaient route vers « les Iles » sans être convoyés. Le retour annuel de la flotte du Brésil était souvent pour les corsaires l’occasion de prises importantes, aussi l’escorte des galions redoublait de surveillance à l’approche de Lisbonne ; le roi faisait garder les côtes par des frégates de guerre. Toutes ces précautions n’arrivaient pas à déjouer la ruse et l’audace des Barbaresques : à la fin de septembre 1676, à l’époque du retour de la flotte du Brésil, trois corsaires venaient mouiller à l’embouchure du Tage ; des pêcheurs de la côte, trompés par le pavillon portugais que les pirates avaient arboré et croyant que ces vaisseaux avaient devancé la flotte attendue, détachèrent leurs barques et s’approchèrent des navires pour les introduire dans le port ; ils furent capturés au nombre de cent et les corsaires, en s’enfuyant avec leur prise, saisirent encore une caravelle qui revenait de Terceïra[2]. Les Salétins franchissaient rarement le détroit de Gibraltar pour pénétrer dans la Méditerranée où les corsaires d’Alger s’opposèrent longtemps à leur présence, prétendant s’y réserver le monopole de la course ; ils préféraient écumer l’Atlantique. Quelques-uns plus aventureux, montés sur des chebecs, vaisseaux de plus grand tonnage, abandonnaient les côtes, se risquaient en haute mer, et allaient croiser dans les eaux britanniques. Il y eut même des corsaires marocains, raconte le Père François d’Angers, qui s’avancèrent jusqu’à Terre-Neuve et sur le Grand Banc « où ils firent des ravages si étranges que du Havre de Grâce seul, ils amenèrent bu coulèrent à fond plus de quarante vaisseaux qui allaient au poisson, et ce dans l’espace de deux ans. Il en fut aussi pris des autres villes maritimes dont le nombre n’est pas aisé à dire. »

  1. Aff. étr. Maroc. Mémoires et Documens, 2, f° 86.
  2. Gazette de France, octobre 1676.