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nous l’avons dit, n’étaient pas des races de marins, elles avaient toutes les mêmes dispositions pour le brigandage, et la razzia les attirait sur mer comme sur terre. On distinguait donc à bord d’un corsaire : en premier lieu, l’état-major composé du raïs, du lieutenant, du pilote et de quelques autres professionnels de la mer ; ils étaient tous des renégats ; en second lieu, les hommes d’armes recrutés, à Alger parmi les Turcs, à Salé parmi les Andalos ; à eux venaient se joindre des indigènes des tribus voisines attirés par le pillage et quelquefois par une exemption de l’impôt, comme cela avait lieu au Maroc ; enfin venait, en troisième lieu, l’équipage formé d’esclaves chrétiens, manœuvrant les voiles ou attachés au terrible banc des rameurs ; ils ne pouvaient, sous peine de bastonnade, s’approcher du gouvernail et de la boussole ; on les enchaînait tous au moment du combat. En Méditerranée, où les pirates d’Alger conservèrent longtemps l’usage exclusif de la galère, les équipages chrétiens, divisés en chiourmes de rameurs, étaient beaucoup plus nombreux que sur les bâtimens salétins marchant à la voile ; cependant les corsaires de Salé, même après l’adoption des vaisseaux ronds, ne supprimèrent jamais les avirons, ce qui leur permettait de manœuvrer par les calmes, et leur donnait, de ce chef, une telle supériorité que Seignelay dut prescrire, en 1680, de donner à l’avenir des rames aux vaisseaux de Sa Majesté qui seraient armés contre les corsaires de Salé. Cette détermination fut prise à la suite d’un engagement que l’Hercule, la Mutine et l’Eveillé avaient eu, le 21 mai 1680, avec ces pirates, près de la rivière de Lisbonne : les trois Français avaient serré de près les corsaires et les auraient infailliblement pris sans le calme qui donna à ces derniers le moyen de se sauver à force de rames. « Le sieur de Langeron, qui commandait l’Hercule, ne doute pas qu’il eût pu joindre celui à qui il donnait la chasse, si on l’avait pourvu de rames à Brest[1]. »


IV

Les navires de Salé, comme la plupart de ceux des autres pirates barbaresques, n’étaient pas construits dans les ports du Maghreb. « Malgré toutes leurs voleries, les Barbaresques ne

  1. Lettre du comte d’Estrées à Seignelay.