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Cet exode se continua jusqu’en 1610, date de l’arrêt d’expulsion définitive rendu par Philippe III. Ce fut à Salé, à Fez et à Tétouan que les proscrits s’installèrent en plus grand nombre ; mais tandis qu’à Fez et à Tétouan les Andalos, comme on les appelait, furent assez vite absorbés par la population indigène ; ils ne se fondirent pas à Salé avec les habitans de la cité et arrivèrent à la dominer par leur nombre et par leurs richesses. Salé, dont le port comptait déjà quelques corsaires, dut attirer plus particulièrement ceux des Maures qui, ayant le goût des arméniens maritimes, virent dans la course un moyen de se venger de l’Espagne en particulier et de la chrétienté en général, tout en augmentant leurs richesses. Le sultan Abd-el-Malek (1576-1578) favorisa l’installation dans cette ville de ces familles d’Andalos qui par la suite exercèrent le double et lucratif métier d’armateur en course et de marchand, et qui devaient bientôt secouer l’autorité des souverains du Maroc.

A une époque où Arzilla, Larach et la Mamora étaient encore aux mains des chrétiens, Salé se trouvait le premier port marocain sur l’Océan pouvant surveiller le détroit de Gibraltar dont il n’était séparé que de cinquante lieues. Cette situation, remarque le Père Dan, permettait aux corsaires « d’être toujours en embuscade pour aller à la rencontre des navires marchands qui passent du Ponant en Levant et de la mer Océane en la Méditerranée. A quoy leur sert beaucoup qu’étant Espagnols originaires et renégats, ils savent la langue et le pays où ils se jettent déguisés pour épier les vaisseaux, quand ils partent des ports d’Espagne et des autres endroits. » Outre les renégats d’origine espagnole, il y avait encore parmi les émigrés de la péninsule un grand nombre de ces Moriscos baptisés par force en Espagne et qui retournaient si souvent à l’islam que les papes avaient été obligés de décider qu’on absoudrait les relaps d’origine musulmane autant de fois qu’ils auraient apostasie[1].

Les Andalos de Salé, pris dans leur ensemble, étaient, comme

  1. Bulle du 12 décembre 1530. Quelques-uns de ces Moriscos expulsés n’avaient pas renoncé à la religion chrétienne et ce fut, en partie, pour eux que le Père Joseph du Tremblay envoya au Maroc sa mission de capucins de la province de Touraine. Ex relationibus P. P. Leonardi et Josephi Paris., annotare libuit… duos missionarios captivos in Marochio obtinuisse a Rege ut ministrare possent sacramenta captivis catholicis numero tria millia idemque præstare Mauris fidelibus qui ex Rispania ejecti in fide catholica ibi permanserunt. Acta S. C. De Propaganda Fide, 22 fév. 1627, p. 191, verso.