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entre leurs deux capitales et les sultans eux-mêmes sont obliges de la doubler par son extrémité Nord-Ouest et de passer par Rbat dans leurs périodiques déplacemens du Nord au Sud. Ce n’est pas que l’obstacle créé par la nature soit bien considérable : le pays ne présente pas de difficultés très sérieuses ; mais il est habité par des confédérations très jalouses de leur indépendance et sur lesquelles les sultans chérifiens, malgré de nombreuses expéditions, n’ont jamais pu asseoir leur autorité d’une façon ferme et durable.

Le groupe Rbat-Salé, placé dans une situation mitoyenne entre la région de Fez et celle de Marrakech, participe de l’une et l’autre, quoique rattaché plus naturellement à Fez dont il est le véritable port. Maître de cette position, l’on peut se porter également sur l’une ou l’autre des deux capitales, comme il est loisible d’isoler les deux pays qui n’ont en réalité que ce point de contact. Ajoutons que c’est à l’embouchure du Bou-Regrag que vient aboutir sur l’Atlantique la grande voie de Tlemcen à Fez. L’importance de ce point avait été reconnue dès l’antiquité et, bien avant les Romains, les Carthaginois y avaient établi une colonie : « Chaque domination, dit Godard, s’est assise à l’embouchure du Bou-Regrag, comme sur la meilleure position de la côte <[1]. » Suivant les époques de l’histoire, le groupe Rbat-Salé a été désigné par le nom de celle des deux villes qui l’emportait en prépondérance : dans l’antiquité, il n’est question que de Salé ; à la fin du XIIe siècle, le sultan almohade Yacoub el Mansour (1184-1199) fonde Rbat et c’est le nom de cette nouvelle ville qui se rencontre le plus fréquemment dans l’histoire jusqu’aux environs du XIVe siècle. À cette époque, Salé devient prépondérante pour le commerce et pour la course ; elle s’érige en république tantôt vassale, tantôt indépendante, et son renom éclipse, pendant plus de deux siècles, celui de sa rivale restée fidèle aux souverains du Maroc. A la fin du XVIIIe siècle, la marine ayant complètement disparu, Rbat reprend le pas sur Salé, dont le nom s’efface de plus en plus de l’histoire.

Salé, placée dans une situation si avantageuse par rapport au Maroc, n’était cependant, au point de vue maritime, qu’un « havre de barre » sans profondeur ; le port était formé du

  1. Pour les différens auteurs cités sans indication de référence, on peut consulter : A Bibliography of Empire of Morocco from the earliest times to the end of 1891 by Lieut. -Col. Sir. H. Lambert Playfair and Dr Robert Crown 1893, London.