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retraite désordonnée de l’armée de Silésie. Et, dans ce ressaut imprévu, la personnalité de Blücher et celle de Gneisenau prennent un relief extraordinaire. Loin de se laisser abattre par l’accumulation des circonstances contraires, suppléant à tout, à la démoralisation de leur entourage, à l’effondrement de leurs moyens d’action, par une énergie morale indomptable, ils n’ont jamais mieux payé d’audace, ils n’ont jamais imposé plus brutalement leur volonté, qu’à l’heure où leur situation semblait désespérée et leur autorité irrémédiablement compromise. Quelles qu’aient pu être leurs erreurs, quelque excès qu’on puisse reprocher à leur ardeur intempérante, quelque fondement que pussent avoir les résistances de leurs subordonnés, ils ont offert, dans toute sa grandeur, le spectacle de la force morale triomphante ; ils ont fait à l’action des volontés individuelles la part probablement la plus large qui puisse lui être réservée dans l’évolution des événemens humains. Langeron, qui était resté tout juste assez Français pour se vanter de ne pas savoir l’allemand, pouvait railler l’aspect abrupt et grossier de ces énergies. Le peuple dont elles ont fondé la grandeur a certainement le droit de les glorifier.


III. — LA KATZBACH. — LA POURSUITE DE BLÜCHER ET LA RETRAITE DE MACDONALD

Si les Français, après leur victoire de Goldberg, le 23, n’avaient point poussé plus vigoureusement leurs succès, ce n’était point seulement défaut d’énergie. Les instructions de l’Empereur ne prescrivaient à Macdonald qu’une offensive très réservée, plutôt destinée à contenir l’ennemi qu’à le briser. Un incident malheureux empira d’ailleurs la situation. L’Empereur, laissant Macdonald à la tête de l’armée, avait voulu lui en faciliter le commandement. Il avait rappelé Ney, supposant que le prince de la Moskowa ne serait point, pour le duc de Tarente, un subordonné docile. Ney comprit que ses troupes étaient rappelées en même temps que lui-même, et de Liegnitz, où il occupait, en pointe sur la gauche, une situation fort menaçante pour les Prussiens, il mit le 3e corps en retraite sur Dresde, dégarnissant fort mal à propos l’aile gauche de l’armée. Ce faux mouvement, que Macdonald appelait « une cruelle méprise, » contribua à arrêter les progrès des Français, après leur succès du 23.