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cheveux ou se glissent dans vos manches… Une famille de singes était arrivée des bois, dans les temps, pour s’établir chez Kali, sans que personne ait osé la mettre dehors ; elle a pullulé, dans le sanctuaire et le jardin, protégée par un religieux respect, et aujourd’hui chacun se fait un devoir d’apporter des graines pour les petits intrus, d’ailleurs sans grande malice, qui sont devenus les despotes du lieu.

Au centre de tout, il y a le Temple d’Or, qui est comme le cœur de Bénarès, son cœur jalousement caché, au plus inextricable entre-croisement des ruelles sombres. C’est un petit temple ; on ne le voit presque de nulle part, tant il est enveloppé, et ses dômes fabuleux, tout en or fin, ne sont guère familiers qu’aux rêveurs des terrasses voisines, ou bien aux oiseaux du ciel qui les regardent en planant. Le dédale se complique et se resserre, lorsqu’on s’en approche, et les symboles se multiplient. Des ruines, des immondices ; des dieux partout dans des espèces de guérites ; des guirlandes de fleurs jaunes qui pourrissent par terre ; sur des socles, des agates arrondies comme des œufs ou taillées en Lingam, pierres que l’on n’ose pas frôler tant elles sont saintes. Dans les échoppes, on vend des petites idoles de bronze ou de marbre, particulièrement vénérables, rien que parce qu’elles viennent d’ici. Et des fakirs aux traits de spectre, aux yeux de fou, tout barbouillés de cendre, la figure marquée de signes secrets, accroupis devant quelque petit feu de bois sec, dans la pénombre de ces rues, vous bénissent au passage, d’un lent geste décharné.

Une sorte de place très enclose, très surplombée de murailles et de ruines, sert de cour, de péristyle pourrait-on dire, au Temple d’Or, sans cependant l’aborder de front, car il faut se replonger dans une ruelle obscure et serrée pour en trouver la porte. Déjà extrêmement sainte, cette place est toujours peuplée de fakirs, et un étranger doit se garder ici de toucher quoi que ce soit, sous peine de sacrilège. Des niches, creusées çà et là dans l’épaisseur des murs, et fermées par des battans de bronze ajouré, contiennent des rangées de ces précieuses agates polies qui symbolisent le mystère de l’engendrement et de la mort. Des cages aux épais barreaux de métal, comme pour de grands fauves, sont remplies de divinités au visage féroce, et, dans l’ombre des recoins, se tiennent, entourés de chiffons et de guirlandes jaunes, d’horribles Ganesa tout crasses, tout usés par les pieux attouchemens des fidèles. Les colliers de fleurs fanées jonchent le