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d’éternité vous ont été données, — on est comme en proie au vertige de l’infini, et chaque fois il faut un temps pour se reprendre aux petits mirages de cette terre.

La féerie orientale est bien toujours là qui vous guette, au sortir de l’humble demeure, mais elle a perdu de son pouvoir sur vous-même ; et, du reste, dans cette Bénarès, il s’y mêle on ne sait quoi de recueilli et de mystérieux ; c’est la même chose ici qu’autre part, dans l’Inde, et cependant cela diffère de tout… Il y a bien, comme ailleurs, l’amusant dédale des petites rues indiennes, les maisons à fenêtres festonnées, à colonnettes, à peinturlures. Surtout il y a ces femmes qui passent, belles comme des Tanagra, sous des voiles légers ; dans l’ombre des rues étroites, un rayon de soleil quelquefois tombe sur leurs anneaux de métal, leurs bracelets, leurs colliers, sur leurs mousselines roses, ou jaunes, ou vertes à dessins d’argent ; alors, au milieu des vieux murs en grisailles, elles ont l’air de lumineuses Péris, et, si elles vous regardent, tout le leurre de la vie terrestre, tout l’appel de la chair est comme concentré dans la caresse invoulue de leurs yeux…

Mais il y a aussi les fakirs en extase, que l’on rencontre accroupis aux carrefours, et qui soudainement vous rappellent la prière et la mort ; il y a partout des pierres saintes, des symboles informes dont personne ne sait plus l’âge ni le sens, et qu’il ne faut pas toucher, certaines castes ayant seules le droit d’y porter la main, d’y déposer des guirlandes de fleurs. Des divinités, emprisonnées derrière des grilles, habitent des trous sombres creusés dans l’épaisseur des murs ; des temples, où l’on n’entre pas, dressent de tous côtés leurs pyramides de pierre. Les vaches sacrées, bêtes errantes des foules, circulent du matin au soir, étrangement inoffensives et douces, de préférence choisissent les marchés, les places où le grouillement humain est le plus compact, et il faut s’en écarter par respect. Les singes, tous les oiseaux du ciel, pigeons, corbeaux ou moineaux, s’ébattent effrontément parmi les hommes, entrent dans leurs demeures, viennent manger auprès d’eux, — et cela seul est pour donner l’impression de quelque chose d’anormal pour nous, d’une tolérance édénique inconnue à notre Occident.

On rencontre quantité de cortèges de noce, qui défilent au son de musiques gémissantes, précédés par des danseurs aux flancs, chargés de grelots et de sonnettes, les mariés ayant le