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subi d’abord des avaries notables, et qu’il a dû rebrousser chemin. Il n’a pas tardé, comme on devait s’y attendre, à revenir à la charge escorté du Vineta. Le bombardement de San Carlos a redoublé alors d’activité. Les premières dépêches ont annoncé que le fort avait été réduit en cendres ; d’autres sont venues depuis, d’après lesquelles le drapeau vénézuélien continuerait d’y flotter ; le fort d’une part, le navire allemand de l’autre, auraient été également éprouvés. Il ne semble pas, en tout cas, que l’affaire ait été bien brillante pour ce dernier. Nous en parlons au point de vue militaire : au point de vue politique, il n’est pas douteux qu’elle ait été fâcheuse. L’enthousiasme a été grand à Caracas lorsqu’on y a appris la belle défense de San Carlos, ce qui n’a pas grande importance et peut même passer pour une effervescence assez factice. Mais l’impression ressentie en Angleterre et aux États-Unis n’a, elle, rien d’artificiel, et ne pourrait pas se renouveler impunément. Il est grand temps que tout cela finisse. A tort ou à raison, l’opinion britannique est convaincue que les Allemands ont des vues beaucoup plus étendues que le paiement de leurs créances. L’expédition du Mexique, qui s’est terminée si misérablement pour nous sous le second Empire, revient à toutes les mémoires et sert à des comparaisons faciles. On se demande si l’Allemagne, comme autrefois la France, n’a pas une idée de derrière la tête, qu’elle fera connaître au bon moment. En Amérique, on a des préoccupations analogues : on y voit avec une impatience croissante une puissance européenne faire acte de guerre et tirer le canon contre le sol américain. Le Venezuela, si peu intéressant il y a quelques semaines encore, lorsqu’il n’était qu’un petit État obstinément banqueroutier, commence à retrouver les sympathies qu’il avait perdues et si bien mérité de perdre. Il en résulte une situation générale équivoque, tendue, énervante pour tous, que la sagesse des gouvernemens a su jusqu’ici maintenir à peu près régulière et pacifique, mais qui n’en reste pas moins très inquiétante.

Nous avons dit que le dénouement semblait prochain. On sait qu’une commission de diplomates s’est réunie à Washington pour le préparer. Le Venezuela y est représenté par M. Bowen, ministre des États-Unis à Caracas, que le président Castro a investi de ses pleins pouvoirs. Il y a quelques jours, une note officieuse a été publiée par la presse britannique, d’où il résultait qu’on s’entendrait sans doute à Washington, sans avoir besoin d’aller jusqu’à la Cour de la Haye, le tribunal arbitral que toutes les puissances ont institué, mais devant lequel elles ne sont généralement pas pressées de comparaître. Ni l’Angleterre, ni l’Allemagne, n’y montrent la moindre inclination ;