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fait tant de manuels de morale civique, avec le but avoué de les mettre à la place du catéchisme ? Aurait-on échoué dans cette grande tâche ? L’enseignement moral des écoles primaires serait-il inférieur en qualité et en autorité à celui de l’Église ? M. Buisson ne l’admet pas, et il a élevé une protestation polie, mais énergique contre l’allégation téméraire de M. Combes. Il s’est même laissé entraîner jusqu’à prononcer un mot violent et injurieux, en parlant d’un autre enseignement, qui, « sous prétexte de religion, perpétue les superstitions, les préjugés et les fanatismes, et constitue une véritable entreprise d’abêtissement. » Voilà donc l’Église et la contre-Église dressées en face l’une de l’autre, et la plus intolérante des deux n’est peut-être pas celle que pense M. Buisson.

Ceux qui disent que M. le président du Conseil a quelque peu déplacé la question et que son discours n’était pas indispensable pour défendre le budget des Cultes et le Concordat, n’ont peut-être pas tout à fait tort. Mais prenons sa thèse telle qu’il l’a présentée ; elle contient certainement beaucoup de vérité actuelle ; aussi nous sommes-nous permis de dire en commençant qu’il y avait quelque contradiction entre ses paroles et ses actes. Il croit à la nécessité de la religion : est-il bien sûr de ne l’avoir pas ébranlée depuis qu’il est au ministère ? Sa politique a reçu, jusqu’à son dernier discours, les applaudissemens enthousiastes et frénétiques des ennemis déclarés de toute religion. Il faut donc bien que quelqu’un se soit trompé, ou M. Combes, ou ceux qui l’ont soutenu, et nous croyons, quant à nous, que ce ne sont pas ceux-ci. Lorsque M. Combes déclare que l’enseignement donné dans les écoles primaires est insuffisant pour servir de base à une doctrine morale, il a raison. Nos instituteurs ne sont pas des prêtres en jaquette ou en veston. Ils sont faits pour enseigner à lire, à écrire, à compter ; ils sont professeurs d’histoire et de géographie ; mais voilà tout. C’est une grande puérilité de croire qu’ils peuvent être par surcroit les apôtres d’une croyance nouvelle. Lorsqu’on a fait l’école neutre, on a voulu séparer l’enseignement scolaire proprement dit de l’enseignement plus profond qui touche aux idées philosophiques et religieuses. Qu’il y ait à cela des inconvéniens, soit ; mais enfin, c’est ce qu’on a voulu faire, ou du moins on l’a dit. Aujourd’hui, on veut autre chose, et le discours de M. Buisson en contient la déclaration formelle. On veut élever les enfans dans la pensée que la religion est une superstition du passé, et que nous avons aujourd’hui beaucoup mieux. C’est là une violation flagrante de la neutralité qui avait été promise : et c’est une raison de