Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/664

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remis un peu en coquetterie avec moi pendant le dernier séjour que nous avons fait à Windsor chez le Roi. Il y est venu passer un jour ; il était fort empressé. Nous avons causé de tout hormis de Turquie. Il se plaint de ce que je le maltraite, de ce que je ne le fais pas venir chez moi comme j’avais accoutumé de faire ci-devant ; enfin il agace. Je reste en grande dignité et surtout je ne serai plus dupe de sa mine sagace, car il n’a que cela…

« Wellington a repris toute sa malveillance, ou plutôt cette malveillance qu’il n’avait cachée que par nécessité se remontre aujourd’hui sans contrainte. Toujours est-il que les affaires intérieures l’empêcheront de songer à une guerre étrangère dans ce moment. Mais, enfin, sans l’Irlande, je crois qu’il aurait tiré l’épée contre nous, le jour où il a appris que l’Empereur avait résolu le blocus des Dardanelles. L’opinion n’est pas pour nous dans cette question. Le gouvernement avait fait une telle parade, cet été, de notre renonciation au droit de belligérans dans la Méditerranée qu’il lui devient bien difficile de savoir que dire au public en ce moment. Pourvu que cette complication serve bien nos intérêts, c’est-à-dire que nous affamions Constantinople et forcions le Sultan à nous demander la paix, c’est bien ; mais, si elle ne nous profite pas, il nous faudra nous défier, à tout instant, de la vengeance que l’Angleterre croira avoir à tirer de nous pour la réputation de dupe que lui vaut cette circonstance aux yeux du public. »

Quinze jours plus tard, c’est une autre note. Wellington, avec qui elle a eu un long tête-à-tête, lui a témoigné « grande douceur, grande amitié. » — « Il me dit, sur le blocus des Dardanelles, que l’Empereur avait parfaitement le droit de l’établir ; qu’il se moquait des gazettes et des clameurs ; qu’il serait vivement attaqué au parlement, mais qu’il saurait y soutenir fortement ce qu’il me disait… Il me parla de sa position individuelle et la caractérisa de la plus forte qu’un premier ministre ait jamais eue en Angleterre. Je m’égayai un peu sur le compte de ses collègues ministres. Il admit, en riant, qu’il n’avait pris que des imbéciles. La drôle de vanité ! » — « Lorsque Wellington menace, c’est qu’il tremble, et, pour peu qu’on tienne ferme, il fléchit. Il est trop rusé pour ne pas voir que nous le connaissons bien, et c’est précisément ce qui fait qu’il nous déteste. Il aimerait mieux quelque innocence, qu’il pût mener à sa fantaisie, comme il fait du reste du corps diplomatique »