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l’Angleterre, était constamment chez moi : ces deux constellations antipathiques à l’antichambre de l’Empereur m’ont privée solidement de la société de mes compatriotes, en sorte que je vois à Vérone toute l’Europe sauf la Russie ; j’en excepte Nesselrode, qui est un brave et loyal homme, et Pozzo, et Tattischeff qui, en qualité de membres du Congrès, viennent tous les jours chez moi.

« Je suis fâchée de rencontrer dans les gens qui devraient être le mieux avec moi précisément tout l’éloignement qu’on porterait à un ennemi. Parce que j’ai passé dix ans en Angleterre, on me croit anglaise, et parce que je vois tous les jours le prince de Metternich, autrichienne. Ce sont de ces jugemens portés en l’air qui ne font guère honneur à l’intelligence de vos camarades. C’est ensuite juger d’une manière bien opposée aux principes de l’Empereur les personnes qui m’exposent à ces commentaires. J’ai quelque soupçon que l’Empereur connaît la haine qu’on me porte et qu’il censure fort ces préventions. On a voulu les lui faire partager, mais le projet a échoué complètement ; il me traite avec bonté, et je me flatte qu’il me connaît. Quant à moi, j’ai fait toutes les avances possibles aux Russes, ils y ont répondu comme je viens de vous dire, et je suis restée avec eux polie quand je les rencontre, mais point du tout soucieuse de leurs petits commérages ni empressée d’aucune façon.

«… Le Congrès se disperse ; à la fin de la semaine prochaine, tout le monde part, et nous aussi. Chacun tire de son côté. Le duc de Wellington nous a devancés. Je regretterai Vérone, j’y ai passé un temps bien agréable. Mon mari a été occupé et employé ; il était plénipotentiaire au Congrès. Cette école lui a fort convenu. En général, on juge mieux sur les lieux qu’à distance, et jamais sa connaissance des affaires n’eût pu être aussi complète ni aussi utile pour le service, s’il était resté à Londres. Nous y retournons, je ne sais pour combien de temps encore. Il y a dix ans que nous y sommes : c’est long ; et j’ai bien répété au comte Nesselrode qu’il nous obligerait de songer à nous donner une autre place, lorsque la convenance du service pourra se rencontrer. Le choix n’est pas grand, il est vrai, parce qu’il roule sur Paris et Vienne. Cette dernière place va être donnée comme ambassade à Tattischeff ; c’est un homme de beaucoup d’esprit ; quant à Pozzo, il fait bien sa besogne à Paris.

« Je ne pense pas que vous revoyiez l’Empereur avant la fin de janvier à Pétersbourg. Parlez de moi à Nesselrode, lorsque