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nécessité de divertir des compatriotes de passage à Londres. — Mme Narishkine « pour qui le prince-régent a été d’une galanterie extrême, » le prince Alexis Gortschakoff, le comte Wittgenstein, — l’ont clouée chez elle. « J’ai gagné à cela quelques fatigues de plus auxquelles on n’est pas habitué dans cette saison, j’entends de grands dîners qui sont pour moi une chose tuante. » Heureusement, une course à Paris où son mari l’emmène va la délasser. Elle en revient à la mi-novembre, plus déçue que charmée par ce qu’elle a vu.

« J’ai passé trois semaines dans un tourbillon de plaisirs et de nouveautés. J’en ai été un peu étourdie : après cinq années d’habitudes de gravité, les allures de Paris m’ont assez divertie, mais je ne vous dirai pas qu’elles me plaisent et je crois qu’on se fatiguerait de cette constante frivolité plus tôt que de toute autre chose. Ce qu’il y a de sûr, c’est que j’ai été bien aise de venir me reposer à Londres de mon séjour à Paris et de rencontrer de silencieux Anglais auxquels je puis raconter le bavardage des Français ; ne me trahissez pas ; on aurait trop mauvaise opinion de mon goût.

« Le Roi nous a reçus avec une véritable bonté, la famille royale de même. Nous avons eu force grands dîners, des prévenances de toutes parts et le choix des plaisirs. Celui que j’ai su le mieux goûtera-est le petit séjour de Michel Woronzow à Paris pendant que nous y étions ; il nous a montré tout plein d’amitié, et j’ai eu mille regrets de me séparer de lui. »

En même temps qu’elle rentre en Angleterre, le duc de Devonshire, son ami, y revient aussi après un voyage à Saint-Pétersbourg. « Il est enchanté de la réception que lui a faite la famille impériale, pas fort édifié de l’accueil des particuliers. Je vois ce que c’est : on se sera diverti à ses dépens et on a eu tort, car, avec sa mine nigaude, il est plein d’esprit, et, avec son esprit, il donnera ici mauvaise opinion de l’urbanité russe. Je voudrais qu’au lieu de rire chez nous de quelques gaucheries étrangères, on ne lançât pas dans l’étranger des Russes qui font pire que faire rire à leurs dépens, mais qui se font, et à juste titre, mépriser. J’en ai rencontré à Paris qui m’ont vraiment donné de la mauvaise humeur. Aussi, d’y rencontrer un Michel Woronzow est vraiment une jouissance patriotique. »

La même lettre se termine par une lamentation :

« Quel triste événement a marqué mon retour ici ! Cette