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année 1815, le rendez-vous de toute la « fashion russe, » qui y vient en allant à Paris ou en s’en retournant : les Orlof, un comte Lavadowsky, « jeune éventé qui a de l’esprit logé dans la plus mauvaise cervelle, » les deux dames Narishkine, la princesse Serge Galitzine, la comtesse Woronzow, beaucoup d’Autrichiens aussi, dont deux archiducs « qui courent le pays. » A citer encore, parmi ces relations si propres à charmer la jeune ambassadrice, Balmaine « qui vient d’être nommé commissaire à Sainte-Hélène, auprès de Bonaparte, » lord Pembroke, lady Jersey, lady Gowper, le général de Flahaut, fugitif de France, « dont Talleyrand est le véritable père » et qui va épouser la fille de l’amiral Keith, miss Mercer, une riche héritière.

Le cercle, d’année en année, ne fera que s’étendre et tout ce qui compte dans la haute société anglaise y figurera. Dès ce moment, des princes et des princesses de sang royal viennent le grossir : la princesse Charlotte, fille du roi, mariée au commencement de 1816, à Léopold de Cobourg, le futur roi des Belges ; le duc et la duchesse de Cumberland ; le prince-régent lui-même. Aussi est-il bien sincère le cri de satisfaction poussé par Mme de Liéven dans une de ses lettres en date de cette même année : « Me voilà fixée à Londres, après avoir couru toutes les campagnes de l’Angleterre. Jamais je ne me suis autant plu ici que cette dernière année. Je vois et je connais beaucoup de monde et je m’y amuse vraiment. Pourquoi n’êtes-vous pas ici, cher Alexandre ? »

La politique, qui deviendra quelques années plus tard « sa passion, » ne l’a pas encore absorbée. Elle est toute à ses plaisirs. Elle paraît heureuse de voir son mari les partager. Les loisirs qu’ils lui laissent appartiennent à ses enfans dont elle s’occupe activement. Leur nom revient à tout instant sous sa plume avec mille détails qui témoignent de l’ardeur de sa sollicitude maternelle. Cette jeune femme, à qui la maturité de l’âge donnera plus tard un air guindé, hautain, réfrigérant au dire même de ses admirateurs, est à cette heure tout feu tout flamme, rieuse, expansive, animée au plus haut degré du désir de plaire et convaincue qu’elle y réussit. « Sans vanité, mes soirées et celles de lady Jersey sont les plus agréables et les plus brillantes. » Et, comme pour prouver que son bonheur ne l’empêche pas de jouir de celui des autres, elle ajoute : « La princesse Charlotte est heureuse et contente ; ils sont tous deux prodigieusement