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attribue presque exclusivement le mérite à son souverain ; elle est trop bonne patriote pour ne pas se réjouir de le voir cueillir tant de lauriers. Mais, le retour de l’île d’Elbe, le départ des Bourbons, les préparatifs guerriers de l’usurpateur, les calamités nouvelles dont l’Europe est menacée excitent ses critiques et, à la fin de la lettre qui suit, amènent sous sa plume des imprécations insultantes à l’adresse de ces Français que plus tard, beaucoup plus tard, elle aimera passionnément dans la personne de Guizot.

« Que d’événemens depuis quelques semaines, s’écrie-t-elle le 19 avril 1815, et comme un peu de prévoyance eût pu faire éviter toutes les calamités qui attendent encore l’Europe ! Au moins l’énergie et les forces que déploient les puissances promettent-elles une fin prompte à cette nouvelle crise. Je la désire vivement et que, de même que l’année passée, vous puissiez venir profiter de la paix en Angleterre. Je vous donne rendez-vous à Brighton pour le mois d’août. Terminez la besogne jusque-là, si faire se peut. Ici, il y a quelques aboyeurs qui crient à la paix, mais tout ce qui a le sens commun comprend qu’il n’y a que les baïonnettes et les boulets pour faire justice de cet homme et préserver l’Europe de sa domination.

« En attendant, il n’est pas à l’aise à Paris. Il est entre les mains des Jacobins, dont le parti est très fort en France, et, en attendant qu’il puisse prendre le dessus, le plus despote des hommes est forcé d’endosser la livrée du républicanisme. Il manque d’argent complètement. Ses paroles sont toutes de miel ; mais, ainsi que les abeilles qui sont ses armes, il a son venin tout prêt.

« Les Français sont les plus méprisés et les plus méprisables des hommes. Dans ce moment, ils attendent qu’une autre révolution aussi paisible que celle-ci leur rende les Bourbons et ils les recevront avec la même indifférence qu’ils les ont vus partir. C’est le superlatif de la canaillerie. Le duc d’Orléans est ici ; je ne sais trop pourquoi. Ces princes ne sont jamais que là où ils ne devraient pas être. » — « Je suis beaucoup dehors cette année-ci, ajoute-t-elle. Ma santé s’en ressent ; les veillées ne me conviennent point, et cependant le besoin de distraction me pousse partout. Cela ira tant que ça pourra. »

Au mois de novembre, la coalition victorieuse a terminé son œuvre ; l’Europe est délivrée ; Louis XVIII a recouvré sa