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savoir pas à quel poste on destinait son mari, qu’une mission temporaire retenait hors de la capitale. Le choix de ce poste restait subordonné à la tournure qu’allaient prendre les événemens. On voit alors la jeune femme supporter avec peine « ce vilain climat » nuisible à sa santé, dont l’avait déshabituée son séjour en Prusse. « L’incertitude de mon sort à venir, mande-t-elle à son frère, le 24 mai, fait que je ne puis même pas m’établir à ma guise. Je vous assure que je suis bien fatiguée de cette ignorance complète des événemens. Je n’ai aucune idée du moment et du lieu où je reverrai mon mari. Dans tous les cas, je suis bien décidée à ne pas voir les glaces sur la Neva, et si les circonstances ne me permettent point de me trouver avec mon mari sous un ciel étranger, j’irai en chercher un plus chaud en Russie. La Crimée me sourit beaucoup et Constantin est tout décidé à m’y accompagner si j’y vais… Je ne vous dis rien de ce qui se passe d’abord par la très bonne raison que je n’en sais absolument rien et que je veux mourir si j’y comprends goutte. Bien fin celui qui peut calculer ce qui va advenir de tout cela. »

Ce qui en advint, on le sait : la brusque rupture des négociations engagées entre la France et la Russie, le déchirement de l’alliance, le passage du Niémen par Napoléon, sa marche sur Moscou, l’incendie de cette ville, et enfin la retraite tragique de la Grande Armée sous les meurtrières rigueurs d’un hiver inexorable. Au mois d’octobre, ce sombre drame touchait à son dénouement. En s’achevant, il préludait aux luttes suprêmes dans lesquelles allait s’abîmer la puissance de Napoléon. À cette heure, le souverain vaincu était condamné.

— Nous ne pouvons plus régner ensemble, avait dit Alexandre ; lui ou moi, moi ou lui !

Et cette menace, il commençait à en assurer l’exécution en se réconciliant avec l’Angleterre, que, depuis Tilsitt, et pour plaire à Napoléon, il avait traitée presque en ennemie. Le premier témoignage de la réconciliation devant être l’envoi à Londres d’un ambassadeur de Russie, il se décidait à en nommer un. Pour occuper ce poste, dont ses projets belliqueux et vengeurs grandissaient l’importance, il désignait le comte de Liéven.

La correspondance est muette sur les circonstances qui déterminèrent cette désignation. Elle nous montre seulement Mme de Liéven non encore fixée à la date du 7 octobre quant à celle de son départ pour l’Angleterre et s’en inquiétant. « Je suis d’une