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sur le sol de la patrie rendra, j’espère, aux députés le sentiment de leurs devoirs. La nation les a nommés, non pour me renverser, mais pour me soutenir... Je ne les crains point ; quoi qu’ils fassent, je serai toujours l’idole du peuple et de l’armée. Si je disais un mot, ils seraient tous assommés... Mais, en ne craignant rien pour moi, je crains tout pour la France. Si nous nous querellons au lieu de nous unir, nous aurons le sort du Bas-Empire. Tout sera perdu, au lieu que le patriotisme de la nation, sa haine pour l’étranger, son attachement à ma personne nous offrent encore d’immenses ressources. » Et recouvrant dans un suprême rayon d’espoir toute la force, toute la lucidité, toute l’assurance de son génie, il exposa avec une précision lumineuse les moyens de résister et de vaincre, qui restaient encore au pays : Depuis un mois, toutes les mesures militaires étaient prises dans l’hypothèse de premières batailles perdues. Les places fortes du Nord et de l’Est, bien armées, bien approvisionnées, pourvues de solides garnisons, gouvernées par des chefs énergiques, pouvaient défier trois mois et davantage les efforts de l’ennemi. Le corps de Brune s’appuyait sur Toulon, les corps de Suchet et de Lecourbe allaient se replier pour couvrir Lyon qui se trouvait en bon état de défense. Plus de 200 000 soldats, militaires retraités, conscrits de 1815 et gardes nationaux mobilisés étaient réunis dans les dépôts ou en marche pour les rejoindre. Dans quatre jours (le 25 juin), il irait à Laon reprendre le commandement de son armée ralliée dont l’effectif, en y comprenant les détachemens des dépôts déjà mis en route et le corps de Grouchy qui devait avoir peu souffert, atteindrait d’ici la fin du mois plus de 80 000 hommes. Elle serait renforcée par les 25 000 soldats d’élite que Rapp avait l’ordre de replier sur la Seine. Ainsi, dans les premiers jours de juillet, une armée de 110 000 hommes, presque égale en nombre à celle qui avait ouvert la campagne, couvrirait Paris. Les Anglo-Prussiens, réduits à 100 000 hommes par le feu, les marches et les détachemens laissés sur les derrières pour protéger les lignes de communications et masquer les places, ne chercheraient pas une bataille. Ils attendraient derrière la Somme l’entrée en ligne des Russes et des Autrichiens qui ne pourraient arriver sur la Marne que du 15 au 20 juillet. A Paris, on aurait donc vingt-cinq jours pour achever les retranchemens, mettre en batterie 600 bouches à feu, organiser militairement 36 000 gardes nationaux,