Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et dit d’une voix étouffée : « — Oui, la bataille est perdue ! »

Le lendemain, de très bonne heure, le désastre était connu dans tout le monde gouvernemental et parlementaire. Pendant la nuit, Sauvo, directeur du Moniteur, avait reçu le courrier extraordinaire qui apportait le Bulletin de la bataille ; le duc de Bassano précédant Napoléon était arrivé à Paris ; le personnel de la Maison de l’Empereur avait été commandé de service. De grand matin, Joseph adressa aux ministres une convocation pour un conseil à l’Elysée, et les affidés de Fouché, parmi lesquels Jay et Manuel, ses commensaux et ses porte-paroles, colportèrent les nouvelles chez les coryphées du parti libéral. Les membres du Parlement étaient en émoi. Déjà grondaient les colères et s’annonçaient les défections. On se rappelait ce qui s’était passé, l’année précédente, à Fontainebleau. Les mêmes désastres semblant devoir aboutir à un même dénouement, l’idée de l’abdication était dans tous les esprits, le mot sur toutes les lèvres. On courait les uns chez les autres. C’étaient des visites multiples, des entrevues rapides, des intrigues ébauchées. On allait aux nouvelles chez le prince Joseph, on allait aux conseils chez Fouché, qui seul dans ce grand trouble conservait tout son calme.

Fouché n’avait été nullement surpris de la victoire des alliés. Dès le mois de mai, il avait dit à Pasquier : « L’Empereur gagnera une ou deux batailles, il perdra la troisième ; et alors notre rôle commencera. » Ce rôle, c’était de profiter de la défaite subie par Napoléon pour le renverser au plus vite. En faveur de qui ? Les circonstances et aussi les intérêts du duc d’Otrante en décideraient. Toutefois le retour soudain de l’Empereur ne laissa pas de déconcerter un peu Fouché. Il se serait senti plus tranquille et plus libre si Napoléon fût resté avec les débris de l’armée bien loin de l’Elysée. L’Empereur revenait à Paris, avait dit Joseph, pour demander de grands pouvoirs à la Chambre. Ces pouvoirs dictatoriaux, Fouché doutait fort qu’on les donnât au souverain vaincu, mais il pensait que Napoléon serait bien capable de les prendre, nonobstant les députés. Il aurait pour lui la garnison, les fédérés, les ouvriers. Les bourgeois libéraux et la garde nationale ne s’aviseraient pas de bouger pour défendre la Chambre. La dictature de l’Empereur ne durât-elle que quelques jours, elle pourrait cependant être redoutable à ses ennemis politiques. Et Fouché, surtout depuis la découverte de sa correspondance avec Metternich, se savait très suspect. Au lieu d’agir