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de l’observation : qu’à leur avis, le principe de la clôture des détroits est un principe européen, et que les stipulations conclues à cet égard en 1841, 1856 et 1871, confirmées actuellement par le traité de Berlin, sont obligatoires de la part de toutes les puissances, conformément à l’esprit et à la lettre des traités existans, non seulement vis-à-vis du sultan, mais encore vis-à-vis de toutes les puissances signataires de ces transactions. » Ainsi, en 1878, l’Angleterre, en ce qui la concernait, déliait le sultan de l’obligation de tenir la main à la clôture des détroits, et la Russie la lui imposait strictement. Aujourd’hui, c’est la Russie qui demande au sultan et qui obtient de lui l’autorisation de faire passer des contre-torpilleurs à travers les détroits, et c’est l’Angleterre qui proteste. Il y a là, semble-t-il, une interversion des attitudes respectives, et comme un chassé-croisé.

Mais si on néglige les apparences pour aller au fond des choses, il est à croire que l’Angleterre et la Russie n’ont pas changé d’avis depuis 1878. Elles savaient fort bien ce qu’elles voulaient à cette époque, et elles le veulent encore. L’Angleterre proteste contre l’autorisation accordée à la Russie, beaucoup moins pour interdire à la Porte d’en accorder de nouvelles que pour se réserver le droit d’en réclamer à son tour le bénéfice. Lorsque le comte Schouvaloff disait, au Congrès de Berlin, qu’il ne se rendait pas exactement compte de la proposition de lord Salisbury, il dissimulait sa perspicacité. La situation de la Mer-Noire était complètement changée depuis sept ans déjà, c’est-à-dire depuis le traité de Londres de 1871. À cette date, la Russie, profitant de la guerre franco-allemande qui nous réduisait provisoirement à l’inaction diplomatique, dénonçait l’article il du Traité de Paris, en vertu duquel la Mer-Noire était neutralisée, et d’un seul coup de plume elle s’affranchissait des obligations qui avaient été pour elle la conséquence de la guerre de Crimée. C’est ce dont la France pouvait se consoler et se consolait en effet sans peine ; mais il n’en était pas de même de l’Angleterre. La Russie reconquérait le droit d’entretenir et de construire dans la Mer-Noire autant de navires de guerre qu’elle le voudrait : dès lors, la question de savoir si elle pouvait, ou non, en introduire quelques-uns par les Dardanelles, perdait beaucoup de son intérêt pratique. L’Angleterre le sentait si bien qu’elle se préoccupait surtout de pouvoir elle-même, avec le consentement qu’elle espérait obtenir de la Porte, y introduire les siens pour faire contrepoids. C’est ce qui explique la déclaration de lord Salisbury au Congrès de Berlin. Quant à celle du comte Schouvaloff, elle s’explique par l’intérêt contraire qu’avait la Russie, et qu’elle a toujours, de maintenir close