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Nous devons y assister en spectateurs attentifs, mais désintéressés de leur résultat, sans nous attacher particulièrement à une dynastie ou à un prince. Que la volonté d’Allah maintienne Abd-el-Aziz sur le trône chérifien, ou qu’elle y place un autre souverain, nous aurions grand tort de nous mêler à cette question de personne : ce serait la compliquer à plaisir. Après une période d’anarchie plus ou moins longue, un gouvernement quelconque finira par prévaloir. Il n’est même pas impossible qu’il y en ait plusieurs, c’est-à-dire que le pouvoir et le territoire se démembrent, comme cela s’est déjà vu dans l’histoire du pays. Que nous importe, pourvu que la vie et les intérêts de nos nationaux soient respectés, et que les traités soient observés ? Or, nous avons des moyens de faire respecter la vie et les intérêts de nos nationaux, et d’assurer l’observation des traités, et ces moyens seront tout aussi efficaces demain qu’ils l’étaient hier.

Nos motifs d’inquiétude sont moins dans la situation du Maroc, quelque troublée qu’elle soit d’ailleurs, que dans l’incertitude de l’opinion au sujet de ce pays, contigu à notre empire algérien. Il n’est question dans les journaux que de savoir comment on pourra partager le Maroc, s’il tombe définitivement en décomposition. Heureusement, nous n’en sommes pas encore là, et nous n’y serons sans doute pas de longtemps. En tout cas, s’il y a une puissance qui soit plus intéressée que toute autre au maintien du statu quo marocain, incontestablement c’est nous. Le voisinage d’un État aux trois quarts barbare peut avoir des inconvéniens au point de vue de la civilisation qui y reste en souffrance ; au point de vue de notre sécurité politique, il n’en a pas. On a fait beaucoup trop de bruit autour de quelques incidens de frontière, qui n’ont d’autre gravité que celle que nous voulons bien leur donner : ils ont existé de tout temps, et nous en sommes toujours venus à bout sans grande peine. Notre influence et notre domination même n’ont pas cessé de s’étendre et de s’affermir. Sans doute la situation changerait si nous étions menacés au Maroc, comme nous l’avons été il y a quelque vingt ans en Tunisie, par l’introduction à côté de nous d’une autre puissance européenne : mais c’est un danger que les yeux les plus perspicaces n’aperçoivent pas, même à un horizon lointain. Les autres puissances cherchent seulement à développer au Maroc leurs intérêts commerciaux, comme nous le faisons aussi, et comme nous avons tous le même droit de le faire. Cette situation est la meilleure que nous puissions souhaiter. Le jour où nous aurions sur notre frontière occidentale algérienne développée le voisinage immédiat d’une autre puissance européenne, quelle que soit d’ailleurs