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sous les yeux le spectacle d’une mère et d’une fille se disputant leur amant. Ces vilenies ou ces monstruosités peuvent, grâce au recul des temps, s’atténuer dans le décor de la tragédie ou du drame historique. Dans le décor d’une comédie, sous le costume moderne, dans l’atmosphère d’aujourd’hui, le caractère odieux n’en devient-il pas intolérable ? C’est à l’événement d’en décider et l’auteur qui tente l’entreprise s’y aventure à ses risques et périls. Ce qui est certain c’est que d’un tel sujet il ne peut tirer une pièce aimable, spirituelle, ironique, mais bien une de ces pièces âpres, atroces dont on subit la représentation comme un cauchemar. Ce qui l’est plus encore, c’est qu’ayant choisi le sujet, il doit le traiter.

Le dénouement auquel veut nous amener l’auteur de l’Autre danger est celui-ci : une femme mariant sa fille à son amant. Laissons de côté le cas où elle userait de cet ingénieux moyen pour retenir et fixer auprès d’elle l’homme qu’elle devine prêt à s’échapper, puisque aussi bien et par bonheur ce n’est pas celui dont l’auteur s’est avisé. Pour qu’une femme d’ailleurs charmante se résolve à une si affreuse détermination, de quelles épreuves n’a-t-elle pas dû être meurtrie, de quelles révoltes n’a-t-elle pas dû se défendre, et quelles humiliations l’ont-elles ployée comme une vaincue à ce parti désespéré ? Ce n’est rien encore que sa souffrance personnelle, sa déception d’amoureuse, et que les tortures de sa jalousie. La crainte que sa fille n’apprenne quelque jour la vérité n’est pas la pire des angoisses qui doivent l’étreindre. Mais, en jetant sa fille dans des bras où elle s’est elle-même reposée, elle commet un crime. C’est ce crime qu’il s’agit de nous faire accepter, et pour cela il est indispensable qu’il nous apparaisse comme nécessaire, imposé par les circonstances, en sorte que l’horreur en disparaisse pour ainsi dire devant la nécessité. Est-il possible de créer une telle atmosphère, de combiner un tel concours de circonstances, de nous amener par un chemin si périlleux à un tournant aussi scabreux ? En tout cas, l’auteur s’était comme engagé à l’essayer.

Il est curieux de voir de quoi M. Donnay, au lieu de suivre ces indications de son sujet, a rempli les trois premiers actes d’une pièce qui en a quatre. On se rend compte alors pourquoi ils paraissent si traînans.

Le premier acte débute par des conversations et propos de table. Deux anciens camarades d’école se revoient après plusieurs années, et ce sont sur la camaraderie, sur les modernes façons d’arriver, des plaisanteries qui ne nous donnent pas l’impression de la nouveauté.