Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et c’est pourquoi, dans leur souci du vrai et dans leur conception réaliste de l’art, nos classiques du XVIIe siècle concentrent leur effort sur l’étude de l’homme même. Mais, d’ailleurs, cet humanisme, qui pendant si longtemps a servi aux écrivains et aux artistes parce qu’il était en harmonie avec la représentation qu’ils se faisaient du monde et avec l’état de leurs connaissances, peut-on espérer qu’il suffise encore aux écrivains de demain et qu’il survive à la révolution qui s’est faite dans la façon dont nous envisageons l’univers ? Nous ne croyons plus que l’homme soit la mesure de toutes choses : la science nous a guéris de l’illusion que la terre fût le centre du monde et que tout dans la création ne se rapportât qu’à nous seuls. C’est dire qu’il y a peu de chances que l’art puisse nous en bercer encore. Et l’humanisme n’était autre chose que la traduction artistique de cette illusion.

Souhaitons donc que, reprenant les choses où les symbolistes les ont laissées, il se trouve quelque écrivain assez clairvoyant pour discerner parmi les tendances encore incertaines de l’heure présente, celles qui ont chance d’être viables, et qui méritent de l’emporter dans la lutte pour le plus fort. Qu’il livre sa formule à nos discussions. Ce sera un moyen de mettre un peu d’ordre dans notre anarchie esthétique, et de réagir contre l’émiettement des forces dont nous souffrons en littérature comme ailleurs. C’est à quoi servent les écoles. Mais nous convier à la cérémonie d’inauguration d’une école, haranguer la « jeunesse littéraire » pour lui redire ce qui a été répété à satiété par tous ceux qui nous ont précédés, c’est une duperie. Libre aux poètes d’inscrire en tête de leurs vers l’épigraphe qui leur convient, puisque, aussi bien, la question reste de savoir si ces vers sont bons ou mauvais. Mais la critique ne jouit pas des mêmes immunités. Elle est tenue de peser les mots, d’éprouver la valeur des doctrines, de mesurer les prétentions ; elle doit servir à éclaircir et à débrouiller les notions ; et nous n’avons certes pas besoin d’elle pour ajouter à la confusion des idées.


RENE DOUMIC,