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leurs chants ! Seulement on ne peut guère nous présenter l’individualisme en art comme une nouveauté. La poésie personnelle ayant été toute la poésie romantique, il est inadmissible que l’humanisme soit venu précisément pour nous la rapporter.

Ou s’agit-il de parler en vers de ce qui intéresse tous les hommes et qui fait leurs préoccupations communes ? Est-ce le dogme de l’impersonnalité dans l’art qu’on nous propose, au lieu des fantaisies de la poésie personnelle ? Il y a beaux jours que Leconte de Lisle l’a enseigné à ses amis du Parnasse. Ou serait-ce que le temps est venu de mettre en vers la « religion de l’humanité ? » Mais c’est de poésie qu’il est question. Et dans la poésie humanitaire, comme dans toutes les autres, les exigences de l’art restent les mêmes. Le caractère humanitaire d’une poésie ne préjuge rien de sa technique, dont, au surplus, dans tout ceci personne ne souffle mot.

Nous avons beau faire et beau presser ces éloquentes déclarations, nous n’arrivons pas à en faire sortir quoi que ce soit de précis. Nous sommes sans cesse rejetés dans l’océan de la phraséologie. Ce que les exégètes du nouvel humanisme livrent à notre méditation, ce qu’ils offrent comme évangile aux futurs poètes, ce qu’ils prennent pour une nouveauté, tient dans cette déclaration : c’est qu’entre « l’art et la vie il y a des relations nécessaires. » Mais qui donc l’a jamais nié sérieusement ? Comment s’y prendrait-on pour contester une assertion aussi peu audacieuse ? Et qu’y a-t-il ici de particulier à la poésie ? Lui aussi, le roman doit soutenir avec la vie quelques relations. Lui aussi, le théâtre doit reproduire quelque chose de la vie. Elle aussi, l’histoire n’est pas sans quelque rapport avec la vie. L’art de tous les temps n’a fait autre chose qu’exprimer la réalité plus ou moins déformée. Comme on n’a jamais écrit des livres qu’avec des phrases et des phrases avec des mots, il a toujours fallu que ces phrases et ces mots continssent quelque chose d’humain. S’en tenir à ces généralités, c’est ne rien dire, et alors on se demande si c’était la peine de le dire avec tant de fracas.

Peu nous importerait d’ailleurs, et nous ne nous soucierions guère de troubler les néo-humanistes dans la certitude où ils sont que, pour fonder une école, il suffit d’en avoir bonne envie : il n’y aurait qu’un manifeste de plus, et rien ne serait changé dans le monde. Mais, quand on tente pareille entreprise, il faut avoir la prudence de choisir des termes qui soient bien à vous, n’étant à personne, et dont on puisse accommoder à son gré la signification. Il ne faut pas se servir de termes déjà consacrés, de formules qui ont fait leurs preuves