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c’est-à-dire des pères, des fils, des amans, des citoyens, des philosophes ou des croyans. C’est de leur vie même qu’étaient faits leurs rêves. » Et plus loin : « Poètes, chantons la vie : c’est notre vraie façon à nous, d’y collaborer. Accomplissons notre tâche sur la terre, qui est d’inscrire en des paroles belles le rêve que fait l’homme à ce moment du temps infini pour le transmettre à ceux qui nous succéderont. Et que chacun de nous, en jetant plus tard un regard sur son œuvre terminée, avant de s’en aller dans l’inconnu terrible, puisse se dire comme tous ceux dont la vie a été bien remplie par les labeurs humains : Je fus un homme. Poètes d’aujourd’hui et de demain, soyez des hommes ! » Les poètes de demain seront donc des hommes ; ils seraient d’ailleurs embarrassés pour faire autrement ; mais il y a tant de manières d’être un homme ! C’étaient des hommes que Lamartine et Victor Hugo, c’étaient même de fort grands hommes. Musset était un homme, incontestablement, ayant cédé à toutes les faiblesses de l’humaine nature. Verlaine fut un pauvre homme. Donc ils ont, comme c’est l’habitude parmi les hommes, aimé, haï, souffert, espéré ; ils se sont réjouis, affligés, consolés ; et ils ne nous ont laissé rien ignorer de cette part qu’ils prenaient à la comédie de l’existence. Ils nous ont fait confidence de leurs plus intimes émotions : ils nous ont conté toutes les aventures de leur sensibilité. Ils ont crié leurs tristesses et leurs joies. Ils ont mis dans leurs vers leurs rancunes, leurs haines, leurs colères, aussi bien que le signalement de leurs maîtresses. Ils ont pris le monde entier à témoin des injures qui leur étaient faites et des blessures dont ils saignaient. Ç’a été leur manière d’être des hommes, et c’en est une :

Quand le diable y serait, j’ai mon cœur humain, moi !

S’agit-il donc de préconiser un retour à la poésie personnelle ? Le fait est que M. Gregh parle beaucoup de l’urgence qu’il y a pour le poètes à sortir de la « tour d’ivoire. » Il reproche fort aux symbolistes de ne pas nous avoir témoigné assez de confiance familière « Jamais chez eux un aveu personnel, un cri, un battement de cœur. » Je ne doute guère que cette invitation à se mettre en scène ne soit du goût de beaucoup d’écrivains : nous sommes dans un temps où l’on ne pèche pas par l’excès de discrétion. Puisque chacun entretient tout le monde de ses affaires particulières, pourquoi le poète serait-il seul à se tenir sur la réserve ? Et par quel paradoxe les lyriques échapperaient-ils seuls à la furieuse poussée de notre individualisme ? Que les poètes recommencent donc de trouver en eux la matière de