Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/443

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

opérées dans le goût du public et sur les besoins de sa sensibilité : elles leur font prendre plus claire conscience des aspirations qui sont en eux, les affermissent dans leurs propres tendances, précisent leurs rêves et en préparent la complète floraison. Le programme des classiques était très net : on s’en est aperçu à leur œuvre. Le programme des romantiques était très confus : leur œuvre en fait foi. Mais les uns et les autres avaient un programme. Les naturalistes savaient en gros ce qu’ils voulaient faire. Romantiques, naturalistes, symbolistes ont pu d’ailleurs raisonner juste ou se tromper, mais ils ont contribué à promouvoir la littérature. Une école qui s’organise, c’est une idée qui cherche à se réaliser. L’école vaudra surtout ce que valent les hommes qui la composent, mais il n’est pas indifférent de rechercher ce que vaut l’idée autour de laquelle ils se groupent. La question est de savoir s’ils apportent une idée juste et une idée neuve ; et cette question même en suppose une autre : c’est qu’ils apportent une idée.

Que l’école symboliste ait été assez pauvre en œuvres, cela ne fait guère de doute et nous l’avons déploré maintes fois. Bien qu’on doive lui tenir compte d’un certain nombre d’inspirations heureuses, et qu’on n’ait pas été embarrassé de lui composer une anthologie, il est exact que cette anthologie est loin d’être aussi abondamment fournie que celle des parnassiens ou des romantiques. Cette école n’a pas tenu toutes ses promesses ; elle a eu plus d’ambitions que de moyens de les réaliser ; et il est vrai aussi qu’elle s’est souvent perdue dans les complications et les bizarreries. Il reste qu’elle s’était fait de la poésie une conception haute, noble et dont on s’était déshabitué. Les poètes se réduisaient à peindre un tableau, à analyser un état de leur âme, à conter une anecdote. Ils mettaient tout leur effort, toute leur probité de bons ouvriers à parfaire un ouvrage qui se limitait à lui-même. C’est alors que les symbolistes sont intervenus pour leur rappeler que l’œuvre poétique doit, outre sa signification prochaine, en contenir une autre plus profonde et qui va plus loin, se continuer par le travail qu’elle éveille en nous et suggérer quelque chose au delà de ce qu’elle exprime. Ils ont remis en honneur l’idée même du symbole, c’est-à-dire de l’élément par excellence, de la poésie. N’est-ce pas celui qu’elle prête aux religions naissantes dans les temps où le ciel marche sur la terre et qui s’y appelle le mythe ? Tel a été dans leur théorie le point essentiel et qui suffisait à la protéger contre de faciles railleries. Il n’était pas indifférent non plus de réconcilier avec le rêve une poésie aux contours trop arrêtés et qui emprisonnait l’imagination dans des limites étroites et fixes. Il n’était pas mauvais