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Cortange[1], toujours spirituel, et feignant de prendre l’immense caravane d’Arméniens pour notre personnel consulaire.

Une dépêche nous attend chez lui. Maurice l’ouvre ; il est fait chevalier de la Légion d’honneur, en même temps que ses collègues Meyrier et Roqueferrier. Nous connaissions déjà la conduite énergique du second. Consul à Erzeroum, échappé à la tuerie des rues de Trébizonde et ayant eu grand’peine à gagner son poste, M. Roqueferrier n’a pas craint de se risquer hors du consulat et d’encourir la colère des autorités en les sommant d’arrêter le massacre. Ensuite, tandis qu’on enterrait en secret les victimes et qu’il y avait défense aux chrétiens d’approcher, il est arrivé, son appareil photographique à la main, et a pris des clichés effroyables.

Trajet maritime sans incident.

25 juillet. — Constantinople. On jase beaucoup ici, surtout dans les salons qui confinent au monde diplomatique.

………………….

On nous dit aussi qu’au quai d’Orsay, on ne désirait donner qu’une seule croix pour les événemens d’Arménie, et qu’elle n’était pas pour Maurice. Sur ce, M. Cambon aurait été voir le Président de la République, qui aurait donné le complément sur son contingent.

Et cette histoire, qui n’est peut-être pas vraie, mais que tout le monde chuchote, est pour nous un prétexte à complimens fleuris, comme on en sert si facilement en Orient.

C’est la gracieuse Mme de la Boulinière[2] qui réclame, comme un honneur, le droit d’épingler elle-même le ruban rouge de celui qu’elle appelle un héros français.

26 juillet. — On croit ici que les massacres sont terminés pour l’Asie Mineure. C’est ailleurs qu’est le danger, c’est d’un autre côté qu’il faut ouvrir les yeux...

27 juillet. — Réception en notre honneur à Thérapia, le palais d’été de l’Ambassade. Après le dîner, il y avait quelques invités, M. Cambon, de sa voix lente, nette, qui met chaque mot bien en valeur : « Mon cher Carlier, je tiens encore une fois à vous féliciter. » Il s’est arrêté, puis, pesant encore plus, semblait-il, ses paroles : «……………..

  1. L’agent des Messageries. Il est cité dans le Carnet de route.
  2. La femme du premier secrétaire d’ambassade.