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... J’avais été très émue et j’ai dû prendre le lit en arrivant. C’est surtout après coup qu’on a peur...

16 mars. — On a cru que j’avais gagné le typhus. Ce n’était presque rien.

3 avril. — Il ne va pas bien, Maurice. Sa bronchite s’est aggravée, et il a bien changé. C’est ce maudit incendie qui en est cause, et puis toutes ces émotions. Il a moins de ressort. Il veut encore avoir l’air gai, mais je le sens très tourmenté : « Si, au moins, tu partais à la côte avec bébé, me dit-il, je serais moins nerveux. »

Et il me supplie de partir. Je refuse absolument.

Seulement, je fais savoir à Constantinople que la santé de mon mari me donne des inquiétudes.

Mai. — Nous apprenons que les postes de Janina et Andrinople, postes assez doux, vont être donnés l’un à M. Meyrier, l’autre à Maurice. C’est Janina qui nous tente le plus, à cause des complications gréco-turques, qui menacent de tourner à une guerre. Maurice pense que les Grecs, qui convoitent l’Epire, se jetteront sur Janina. En ce cas, il s’y passerait des choses intéressantes. Il demande Janina.

Ici, tout est calme. Maurice en impose trop au vali pour qu’aucun Arménien soit désormais molesté, du moins à Sivas même. Du dehors, nous apprenons encore parfois de tristes choses[1]. Il nous est venu quelques étrangers aimables, un Belge[2], un Autrichien fort brave homme qui est devenu un grand ami de bébé.

Un jour il lui demande : « Qu’as-tu dit, Jean, lorsque tu as entendu les soldats faire pan, pan ? » Et voilà petit chéri, comme s’il comprenait, qui répond, avec un grand sérieux : « Boum ! boum ! » Cela nous a donné un coup :... Maintenant Maurice, chez qui les émotions tristes ne durent guère, ne l’appelle plus que Monsieur Boum-boum.

J’étais invitée à une petite fête scolaire chez les Pères, mais nos chevaux sont malades ; alors, pour que je puisse venir à pied sans risquer de disparaître dans les flaques de boue, les Pères ont dû travailler à installer cinq cents mètres de chemin en planches.

  1. Voir, pour les détails, le Martyrologe arménien, par le P. Charmetant.
  2. Dans son Carnet de route, M. Carlier parle fréquemment de négocians ou d’ingénieurs belges. « Quant à des Français, dit-il, pas un, en dehors des Missions. » — M.-F