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deux évêques, catholique et grégorien, lesquels se prévalent de leur dignité.


Tout notre monde a très faim. Je vais à la cuisine avec Lucie allumer du feu, et nous en revenons, au bout d’un quart d’heure, avec un soi-disant beefsteak qui sent la fumée. Maurice ouvre une boîte de sardines. Nous nous motions à table, mais presque aussitôt la fusillade éclate assez près de nous. Toujours des bandes qui veulent aller à l’église et que disperse Panayoti. Par trois fois mon mari va faire le coup de feu dans la rue.

Puis il s’assoit au piano et attaque une ardente Marseillaise, pour donner de l’appétit à ses hôtes, qui « ont des têtes à porter le diable en terre. »

Enfin arrive un lieutenant de zaptiés avec vingt-cinq hommes.

Mais ils ne nous inspirent guère, ces gendarmes ! Mon mari ne veut pas d’eux dans la maison, à cause de nos réfugiés. Il exige qu’ils restent au milieu de la rue, tournant même le dos à la maison. Ça ne fait pas du tout leur affaire, mais, quand Maurice ordonne, il faut qu’on obéisse.

Tout de même, que devient notre brave Mehemet ? C’est inquiétant. Maurice exige de l’officier qu’il envoie trois hommes à sa recherche et qu’ils le dégagent, s’il est bloqué quelque part.

Enfin le voilà, avec la sœur et les neveux de M. S... Ils se mettent à table aussi. Ils finissent le beefsteak raté et les sardines.

— C’est bien, Mehemet, fait Maurice ; maintenant, retourne à l’église et reconduis chez eux les Arméniens disposés à partir. Va, serre ton ceinturon, mon garçon, je ne déjeune pas non plus !

Le grand Circassien part. Quelques musulmans, le voyant passer, sortent d’une maison et lui offrent de venir piller avec eux ; piller, et le reste ; il refuse.

Toujours des coups de feu de plus en plus loin. Je vois passer des musulmans chargés de butin, des soieries superbes, des étoffes brochées d’or.

Maurice ordonne d’arrêter tous les pillards qui se permettront de passer devant le consulat français. — Il arrivera ce qui .arrivera, mais on ne nous manquera pas de respect !

Dans la soirée, Panayoti apprend que les Sœurs et les Pères sont absolument sains et saufs. La populace continue à piller