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nôtre ! Je vais l’envoyer dire au vali que je lui ordonne de protéger les missions françaises.

— Panayoti ! crie mon mari par la fenêtre.

Le brave garçon accourt. Maurice lui indique ce qu’il doit dire.

— Bien, fait l’autre sans broncher, j’y vais.

— Tâche d’en revenir !

Le cawas s’éloigne.

— Allons, me dit Maurice dont le danger excite la verve, madame Carlier, je vous nomme premier cawas. Vous allez garder la porte du Consulat. Moi, je continue à surveiller d’en haut la ruelle qui mène à l’église. » Puis, regardant tout ce monde qui nous écoute : « Et dire que pas un des cinq cents... qui nous encombrent n’est capable de prendre un fusil ! »

Le fait est qu’ils sont tous là, gémissant, et pleurant...

À ce moment j’entends encore Maurice qui tire. Je sors devant la porte, la rue est vide, sauf au fond, près de la ruelle. Je tire au hasard tant que mon mari tire. Mais bientôt un groupe de furieux s’avance et lance vers nous des haches à toute volée. J’ai très peur, je recule. Les haches rebondissent avec des étincelles sur les cailloux. J’ai bien cru que c’était fini... Et puis ils sont partis.


Le gros du danger semble passé, car voici Panayoti qui reparaît. Il est entré crânement chez le vali en écartant les baïonnettes menaçantes. Alors, le regardant bien dans les yeux, il lui a ordonné, de la part du consul de France, — et il faut voir comme il prononce ça ! — d’envoyer immédiatement des détachemens aux missions et d’arrêter les tueries. Il a réussi. Le général et le vali se sont regardés stupéfaits. Des zaptiés sont partis en courant. Dans dix minutes nous aurons, nous aussi, une garde, et même des patrouilles vont être faites.

— Très bien, fait Maurice, parfait ! Voilà de la bonne besogne ; seulement alors, puisque c’est fini aujourd’hui, Panayoti, renvoie-moi ces gens... Comment ne comprennent-ils pas qu’on va bien plutôt piller et brûler les maisons vides ?

En maugréant, les Arméniens sortent. Quelques-uns, plus intelligens, disent que le consul a raison. Restent seulement dans le salon Karakine, deux ou trois notables, quelques femmes, et