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Je ne risque rien, ma robe est déjà pleine de sang, seulement je n’ose guère regarder. Quant au garçon, il ne crie pas un instant : ces gens-là sont étonnans de dureté.

Deux heures après, en partant, le gamin gambade, tenant à bout de bras une pièce d’argent.

Les parens, qui le croyaient mort, en avaient, paraît-il, déjà fait leur deuil, mais, tout de même, la population prend en estime la « consulesse, » — du moins à ce que prétendent les sœurs, qui ont appris mon « exploit » par la rumeur publique.

Après cela, je ne voulus plus laisser sortir bébé, mais Maurice m’assura avec tant d’énergie que jamais on ne toucherait à un cheveu de notre Jean que je me laissai persuader. Je n’ai pas eu à le regretter. Tout de même, c’est moi qui ai voulu venir ici sur ce plateau...

18 août. — Notre vie continue à être paisible. Jean se porte admirablement. Le docteur vient le voir souvent et sa visite nous distrait, car il est beau parleur, mais il ne nous apporte guère de nouvelles. Il y a si peu de vie à Sivas ! Un seul consul étranger, M. J..., consul des Etats-Unis, un homme aimable, mais qui ne parle guère que musique, ce qui n’est pas de ressource ici... Quant aux familles arméniennes cultivées, même celles-là nous sont, je l’avoue, peu sympathiques. Quelle âpreté à l’argent !

30 août. — Bébé grandit. Il va falloir lui confectionner des vêtemens, car ceux expédiés de France par les tantes et grand’mères n’arrivent pas. Ils auront dû être volés en route, et je ne peux pourtant pas habiller un petit Français en Turc ou en Arménien.

La chaleur est intolérable. Il n’y a plus un brin d’herbe et la vache est malade.

19 septembre. — Nous avons eu une alerte. Vers une heure du matin, la nuit étant très noire, nous avons été réveillés par les grognemens des chiens. Comme ces grognemens augmentaient, Maurice s’est levé, a armé son revolver, et, relevant sans bruit le pan de la tente, s’est glissé au dehors. Il a trouvé bientôt Panayoti, son fusil à la main, qui cherchait à sonder les ténèbres. Le cawas a dit que, depuis un moment, il voyait rôder des ombres. Même il avait poursuivi une de ces ombres, puis s’était arrêté, craignant d’être entraîné dans une embuscade. Lui et Maurice sont alors partis ensemble ; je les ai entendus s’éloigner, et le cœur me battait bien fort... Leur ronde est restée