Grand silence toute la journée. Parfois des oiseaux de proie passent très haut en sifflant. On pourrait se croire en Savoie, sur quelque maigre plateau, n’était que tout le monde a un revolver à la ceinture...
17 août. — Aujourd’hui le cuisinier nous rapporte de méchans bruits. Il paraît que, du côté de Van, où nous n’avons pas de consul, on aurait égorgé beaucoup de chrétiens. Est-ce vrai ? En Orient, on exagère ; cependant il y a quelque chose dans l’air et il faut tout attendre de...[1].
A Sivas, nous avons déjà eu une alerte. Le mois dernier, un jour que j’étais seule là-bas dans ma chambre et bébé parti à la promenade, j’entends une rumeur de foule, je regarde et je vois quantité d’Arméniens qui courent. Je demande ce que c’est, on me répond qu’ils vont demander à l’évêque (grégorien), qui demeure non loin du consulat, de protéger des prisonniers politiques que les zaptiés ont à moitié assommés.
Tout d’un coup s’élèvent des cris aigus. Un groupe de petits Turcs, venant en sens inverse, s’est battu avec de jeunes Arméniens ; ceux-ci se sont dispersés, mais l’un d’eux a reçu un formidable coup de couteau à la tempe. Il est étendu sur le sol, les Turcs passent en riant ; quant aux Arméniens, ils sont revenus à pas comptés, l’air effaré, mais regardent le blessé sans le secourir.
Et l’enfant crie toujours et son cri est affreux ! Je descends, la foule se découvre, s’écarte, et je prends par les deux bras l’enfant et le traîne au consulat.
Il paraît que la foule fut étonnée, — plus encore de voir arriver bientôt le médecin, le docteur Karakine Ekimian. Le médecin du consulat mandé pour un enfant pauvre !
Le docteur a réclamé quelqu’un de bonne volonté pour tenir le blessé, tandis qu’il va lui recoudre le front dont un lambeau pend sur l’œil du pauvre enfant, mais on a ri et l’on ne s’est pas dérangé. Je ne voudrais pas demander à Panayoti[2], si fier, quelque chose qui n’est pas dans son emploi, et d’ailleurs je sais en quel mépris il tient les Arméniens. Alors je m’offre.