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poitrine. Il venait des vieillards que leur barbe de neige, rebroussée à la mode radjpoute, faisait ressembler à de vieux chais blancs. Il venait beaucoup d’enfans tout petits, les jambes à peine assez longues pour monter, mais l’air pénétré et grave, et toujours solennellement coiffés d’une espèce de tiare en velours brodé d’or. Et les femmes étaient merveilleuses, drapées à l’antique dans des mousselines de toutes couleurs avec des dessins dorés, ou bien dans des mousselines noires avec des étoiles d’argent. Une musique caverneuse m’arrivait du fond de l’obscur et impénétrable temple, et parfois les coups de quelque monstrueux tamtam grondaient sous les voûtes comme le tonnerre.

Chacun, avant de monter, s’inclinait pour baiser la marche d’en bas. Et de même, là-haut avant de sortir de l’ombre sainte, chacun se retournait sur la porte, pour saluer et pour baiser le seuil. Mais les spectres de la famine, qui arrivaient toujours, horriblement nus et macabres, gênaient cette foule en habits de fête, essayaient d’arrêter les passans avec leurs pauvres mains desséchées, crochaient dans les voiles de mousseline, avaient des brusqueries et des crispations de singe pour attraper les aumônes...

Et puis le vent s’est déchaîné, comme chaque soir à la même heure, sans pour cela rafraîchir la ville brûlante, et, dans une brume de poussière, le soleil s’est couché, jaune, triste, et terni autant qu’un soleil du Nord.

Dans les rues, malgré tout, la fête a continué jusqu’à nuit close. On se jetait les uns aux autres, à pleines mains, des poudres parfumées et colorées, qui adhéraient aux visages, aux vêtemens. Des gens sortaient de la bagarre avec une moitié de figure poudrée de bleu, ou de violet, ou de rouge. Et toutes les robes blanches portaient la trace de mains trempées dans des teintures éclatantes, cinq doigts marqués en rose, en jaune ou en vert.


VII. — LE BOIS CHARMANT D’ODEYPOURE

Dans le bois charmant habitent trois fakirs, tout au bord de la route, sous un toit de chaume, au pied d’une colline et devant le miroir d’un lac tranquille. Ce sont trois jeunes hommes régulièrement beaux, nus avec de longues chevelures, et poudrés de la tête aux pieds en gris pâle couleur de pierre.