Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils en montrèrent à le flatter. Je les ai vus autour du trône, aux pieds du souverain heureux ! Ils s’en éloignent quand il est dans le malheur ! Ils repoussent aussi Napoléon II, parce qu’ils sont pressés de recevoir la loi des étrangers à qui déjà ils donnent le titre d’alliés, d’amis peut-être... »

Jamais assemblée de courtisans renégats n’a été traitée si bien selon ses mérites. A chaque parole qui les cravache, à chaque nouvel outrage, ils font entendre des exclamations de colère et des murmures menaçans. Les cris : « A l’ordre ! à l’ordre ! assez ! quittez la tribune ! » partent de tous les bancs. Mais, à mesure qu’augmente le tumulte, la voix de l’ardent Labédoyère se fait plus forte ; elle domine toutes les autres. Il continue de parler au milieu des violentes interruptions qui hachent incessamment ses phrases : « — Oui, l’abdication de Napoléon est indivisible. Si l’on refuse de proclamer le Prince impérial. Napoléon doit tirer l’épée. Tous les cœurs généreux viendront à lui, et malheur à ces généraux vils qui l’ont déjà abandonné et qui peut-être en ce moment méditent de nouvelles trahisons ! Quoi ! il y a quelques jours à peine, à la face de l’Europe, devant la France assemblée, vous juriez de le défendre ! Où sont donc ces sermens, cette ivresse, ces milliers d’électeurs ? Napoléon les retrouvera, si, comme je le demande, on déclare que tout Français qui désertera ses drapeaux sera jugé selon la rigueur des lois ; que son nom soit déclaré infâme, sa maison saisie, sa famille proscrite !... Alors, plus de traîtres, plus de ces manœuvres qui ont occasionné les dernières catastrophes, et dont peut-être quelques auteurs siègent ici ! » En disant ces mots, Labédoyère darde un regard de feu sur le malheureux maréchal Ney. Une violente clameur s’élève. Toute la Chambre est debout, vociférant : « A l’ordre ! à l’ordre ! » Les apostrophes se croisent : « Désavouez ce que vous avez dit ! » commande d’un ton impérieux le général de Valence. « Jeune homme, vous vous oubliez ! » dit gravement Masséna. « Vous vous croyez au corps de garde ! » crie le comte de Lameth. Lacépède prononce le rappel à l’ordre. Mais Labédoyère veut parler encore. La face convulsée, les lèvres frémissantes, ses beaux yeux bleu d’acier lançant des éclairs, il brave la tempête qu’il a soulevée. Le président se couvre ; on assiège la tribune, on en arrache Labédoyère, qui marque la Chambre de ce suprême stigmate : « Il est donc décidé, grand Dieu ! que l’on n’entendra jamais dans cette enceinte que des voix basses ! »