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et l’appréciait de longue date ; il savait qu’il pouvait compter sur son zèle éclairé et ardent ; il eut la pensée de l’appeler à un poste qui faisait contraste avec sa valeur et ses services, mais auquel les circonstances donnaient une importance exceptionnelle, je veux parler de la préfecture de Versailles, où siégeait l’Assemblée nationale, et qui était ainsi le centre du Gouvernement. C’était une sorte de poste diplomatique, dont le titulaire devait être capable de travailler à l’apaisement et à la concorde. La préfecture de Versailles fut acceptée. Plus d’un d’entre nous trouva, d’une part, que Cochin se diminuait et, d’autre part, que c’était une faute de ne pas tirer meilleur parti d’un homme aussi remarquablement doué, d’un orateur de premier ordre. Mais cette âme, si haute et si humble à la fois, était insensible à toute considération d’amour-propre, et mesurait l’importance des fonctions au bien immédiat qu’elles permettaient d’accomplir. Dans cette situation nouvelle, Cochin se dépensa sans mesure. On a dit alors de lui, et avec raison, qu’il était, hors de la Chambre, un des députés les plus remarquables, et, hors du pouvoir, un des ministres les plus compétens.

Les occupations multiples de sa charge ne l’empêchaient pas de suivre encore ses œuvres charitables et de se dévouer, avec une persévérance que rien ne lassait, à la grande cause de l’abolition de l’esclavage. Il la soutenait, la défendait la plume à la main, ou auprès des gouvernemens par ses démarches multiples. Il se surmenait ainsi, achevait d’user ses forces et hâtait les progrès du mal qui le minait. Ce mal le terrassa tout à coup avec une violence inouïe. Après quelques alternatives d’espoir et de découragement, il apparut clairement qu’on ne le pouvait plus conjurer. Cependant de longues souffrances précédèrent le dénouement fatal. Cochin demeura pendant vingt-neuf jours une partie du corps sans mouvement, ne remuant le bras libre que pour chasser de son front l’atroce douleur qui le torturait. Et cette douleur ne put lui arracher une plainte, un murmure.

La nouvelle d’un état si grave s’était bientôt répandue et donnait lieu à des manifestations bien rares de sympathie. Non seulement les amis accouraient, mais des pauvres, des ouvriers s’informaient, écrivaient, exprimaient leurs inquiétudes et leurs vœux. Les travailleurs, dont il s’était occupé avec tant d’amour, et qui, par milliers, devaient bientôt assister à ses funérailles, prouvaient qu’ils n’étaient pas ingrats. Je me souviens des témoignages