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ai-je à redouter la brûlure de ce soleil qui monte, et la morsure des cobras aux anneaux noirs, enroulés sous l’herbe morte...


Quand j’arrive en bas, dans la plaine de sable et de poussière, tournant à main droite, je n’ai plus que quelques minutes de marche pour me retrouver devant les portes énormes et béantes.

Aucun bruit d’alarme, ce matin, n’accueille mon entrée dans l’effroyable sanctuaire : aigles, vautours ou faucons, qui nichent aux voûtes, sont déjà partis et en chasse, la serre, le bec prêts à déchirer et à manger. Silence partout, moins terrible cependant que le silence d’hier minuit.

Les temples monolithes, que les obélisques précèdent et que les rangées d’éléphans soutiennent, sont bien là, debout dans l’excavation profonde, qui penche sur eux ses flancs peuplés de figures. Mais tout me semble moins colossal, moins surhumain, vu au soleil levant ; moins surhumain et plus assez horrible pour célébrer comme il convient le Dieu créateur. Œuvre d’une race encore enfantine, qui n’avait pas compris suffisamment encore l’immense férocité de la vie, ou qui ne savait pas mieux symboliser. Et rien aujourd’hui ne me rend l’impression d’hier, l’impression d’arriver ici dans la nuit noire, avec une lanterne éclairant mal et par en dessous.

Le délabrement s’indique extrême, à la lumière du matin. Non seulement les siècles ont passé, fauchant çà et là des colonnes, des chapiteaux, des têtes ou des corps ; mais de plus, à l’époque de la conquête musulmane, ces temples ont été assaillis, comme tous ceux de Çiva, par des hommes fanatisés, qui tenaient à nommer Dieu d’un autre nom.

Ce que l’on ne soupçonnait pas, hier en pleine nuit, c’est que tous ces épouvantails avaient jadis été peints. Les personnages, dent on distingue à présent la multitude entière, dont on aperçoit de tous côtés les gestes multiples, dans la pénombre des roches surplombantes, sont encore légèrement verdâtres, couleur de cadavre, tandis que le fond de leurs loges est resté un peu rouge, comme du sang qui aurait séché.

Les temples monolithes du milieu étaient polychromes, eux aussi, en leur temps ; des nuances comme on en voit à Thèbes ou à Memphis, des blancs, des rouges, des ocres jaunes y persistent encore, aux places abritées.

Ce matin, j’y monterai donc seul, ainsi que je le souhaitais ;