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inutilement auparavant, de faire se lever, qui se dressait enfin, et, les bras étendus, marquait aux puissances non américaines la ligne qu’il leur serait interdit de franchir.

A Londres, la revue conservatrice, le Spectator, parlait amèrement de la coopération anglo-allemande : « Les Allemands, imprimait-elle, ne seraient probablement pas fâchés que les choses s’embrouillent au Venezuela, ou que le président Castro les embrouille à ce point que tout accommodement soit impossible. Peut-être même le souhaitent-ils... Mais Une faut pas se réjouir de la faiblesse du Venezuela. C’est la faiblesse de résistance de l’Amérique latine, jointe à sa richesse, a son étendue, qui en fait une telle tentation pour l’Allemagne, pour l’Italie, pour tous les peuples à population essaimante. Un Venezuela, grand comme deux fois la France, riche comme plusieurs Antilles, cela serait pour l’Allemagne ce que l’Inde a été pour l’Angleterre ! Avec un tel déversoir et un tel retour de richesses, on viendrait vite à bout du socialisme à l’intérieur. La prépondérance de l’Allemagne serait alors insoutenable en Europe. » De cette prépondérance, de cette hégémonie de l’Allemagne impériale, l’Angleterre ne veut ni ne saurait vouloir en Europe, et, pour ne pas la subir en Europe, elle doit se garder de lui ouvrir les voies hors d’Europe. « Le ciel nous préserve, nous autres Anglais, de servir cette politique ! »

D’autres organes encore, reflétant d’autres nuances, adaptaient au goût de leur public la fable où le chat tire du feu les marrons qu’il ne mangera pas. Le barde des récentes épopées britanniques, M. Rudyard Kipling, oublieux de la sollicitude amicale qu’il avait, dans la maladie qu’il fit il y a quelques années, rencontrée chez Guillaume II, bouillonnait et couvrait de la lave de ses strophes, — Quidlibet audendi... — « le Goth et le Hun sans honte. » Ceux mêmes que retenait le respect traditionnel et constitutionnel de la majesté impériale et royale n’étaient pas loin de maudire en leur cœur ces entretiens de Sandringham, ces tête-à-tête d’oncle à neveu, cette façon de « pacte de famille » qui se substituait ou se superposait à une politique vraiment nationale. Et, comme on n’en voulait pas rejeter la faute sur l’initiative du roi, on s’en prenait à « l’insuffisance » des ministres. Le moins qu’il faille dire, c’est qu’on se rendait compte en Angleterre que l’on marchait à cause de l’Allemagne, à la suite de l’Allemagne, au profit de l’Allemagne, et que, pour toutes ces raisons, on marchait sans élan.

L’Amérique du Sud franchement impatiente ; les États-Unis moins patiens qu’on ne s’en était flatté ou patiens seulement jusqu’à un certain point ; la Grande-Bretagne peu décidée, du moins pas du tout