Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des hypothèses : « En tout cas, — c’était le dernier mot, — si quelque puissance européenne traite une république sud-américaine comme la France a traité le Mexique, et l’Angleterre l’Egypte, elle aura affaire aux États-Unis. »

Brusquement, le 10 décembre, les faits se précipitèrent. L’escadre anglo-américaine s’empara, dans le port de la Guayra, de la flottille vénézuélienne, composée de quatre ou cinq canonnières, sur huit, dont cinq utilisables, que le Venezuela possédait au commencement de la guerre civile. Les ministres anglais et allemand à Caracas, MM. Haggard et de Pilgrim-Baltazzi, remettaient au gouvernement vénézuéhen un second ultimatum et quittaient la ville, en priant le ministre des États-Unis, M. Bowen, qui acceptait, de se charger de la défense de leurs nationaux.

La dernière chance du président Castro s’évanouissait. Très irrité, dans le premier moment, il ripostait par une provocation et faisait arrêter, non plus un agent consulaire ou quelques particuliers isolés, mais bien tout ce qu’il pouvait trouver à Caracas de résidens anglais ou allemands, en ajoutant qu’il les garderait comme otages. Il lançait en même temps proclamations sur proclamations. « Si le Venezuela, s’écriait-il, avait refusé de remplir ses engagemens fiscaux, si la justice et la diplomatie avaient épuisé toutes leurs ressources, alors seulement on aurait pu s’attendre à des mesures aussi extrêmes, mais cela ne s’était pas produit. Le fait que le gouvernement n’a jamais augmenté la dette et qu’il a payé tout ce qu’il a commandé pendant la révolution, y compris les trains réquisitionnés pour le transport des troupes sur les chemins de fer allemands, prouve l’honnêteté de son administration et montre ce à quoi les étrangers devraient s’attendre de sa part. » Ensuite il élevait la voix : « Je ne puis honorablement faire davantage, et je ne chercherai pas d’excuses pour désarmer des inimitiés folles. Ce serait se soumettre à des humiliations qui offenseraient la dignité des Vénézuéliens, et qui ne seraient pas en accord avec ma vie publique. La cause de notre dignité nationale est fondée sur nos droits, sur notre sens de la justice, et sur nos relations d’amitié mutuelle et de respect avec les nations étrangères. »

Qu’est-ce que cachait la conduite, à ses yeux inique et brutale, de l’Angleterre et de l’Allemagne ? Au développement de quel plan mystérieux voulait-on faire servir cet étalage insolite de la force ? Le président Castro ne le disait pas, mais il souffrait que le consul du Venezuela à Londres le dît publiquement, reprochât aux Anglais et aux Allemands d’avoir acheté le général Matos et fomenté la révolution.