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demandait l’abolition des droits différentiels de 30 pour 100 sur les marchandises venant des Antilles.

Cette longue liste de griefs se grossissait de tout un paquet de créances demeurées depuis longtemps irrécouvrables. L’Allemagne, entre autres, réclamait au Venezuela un certain nombre de millions soit prêtés, soit engagés dans la construction de ce chemin de fer de Caracas à Valencia, dont, précisément, l’insurrection venait de ruiner les ouvrages d’art ; soit enfin exigés en dédommagement de pertes subies par des sujets allemands. Le gouvernement vénézuélien commençait par repousser de telles réclamations ; il leur déniait tout fondement légal : ses tribunaux, selon lui, et ses tribunaux seuls, apprécieraient. Au surplus, il ne prétendait pas ne rien devoir, et ce qu’il devait, il le paierait quand il pourrait ; mais il ne pourrait point tant que la révolution déchirerait le pays, tant que la guerre civile ne serait pas achevée, tant que l’ordre n’aurait pas ramené la prospérité.

« Demain, » disait le président Castro, mañana ; et il atermoyait, il chicanait, il répondait par d’autres griefs. Quoi d’étonnant, s’il ne venait pas à bout de l’insurrection ? elle avait, insinuait-il, les sympathies secrètes, ou même déclarées, des puissances, parce que son chef, M. Matos, avait osé promettre ce à quoi il n’aurait jamais voulu consentir, quant à lui : l’institution d’un contrôle étranger sur les finances nationales. Et ce n’étaient pas des sympathies inactives ou platoniques : en échange de ces complaisances, les autorités anglaises de la Trinité, — le général Castro les en accusait formellement, — avaient d’abord suscité ou favorisé la révolution, puis l’avaient ravitaillée par les expéditions du navire flibustier le Ban Righ, qui jetait de temps en temps sur les rives de l’Orénoque des armes et des provisions. Que si, se défendant et hâtant de son mieux la pacification, il décrétait le blocus de l’embouchure de ce fleuve et des côtes vénézuéliennes, les mêmes puissances, les grandes puissances, par un abus scandaleux de la force, soutenaient que ce blocus n’était pas effectif, et s’en souciaient comme si de rien n’était. L’Angleterre avait abusé bien plus scandaleusement encore ; elle avait occupé l’île de los Patos, considérée par elle comme une dépendance de la Trinité, par le Venezuela comme terre vénézuélienne. Qui donc avait endormi les farouches gardiens de la doctrine de Monroë ? Lui, cependant, président Castro, en face de la révolution, il représentait le gouvernement régulier, en face de l’étranger l’indépendance nationale, et en face de l’Europe coalisée l’intégrité, l’inviolabilité du continent américain. C’étaient de grandes causes et qui, s’il devait succomber.