Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et une question d’histoire littéraire se trouve transformée en une question d’histoire générale de la civilisation.

J’en donnerai un autre exemple.

M. G. Huszär emprunte à Désiré Nisard les lignes que voici : « Les mœurs de la France avaient mis à la mode le mélange de la politique et de la galanterie. Corneille fit des politiques galans. » Et il continue : « M. J. Lemaître dit une chose analogue : « Les Romains de Corneille n’étaient que des Français du temps de Louis XIII ou de la Fronde. » Et il ajoute en son nom personnel : « À notre avis, Corneille a subi aussi bien l’influence de son époque que celle de l’Espagne. Mais les élémens de ses tragédies, qui peuvent être regardés comme exprimant l’esprit contemporain, se confondent avec ceux qui sont dus à l’Espagne, ou bien ils sont absorbés par eux. » c’est ici qu’il faudrait essayer de s’entendre, et, par exemple, si « l’amour » dans la tragédie de Corneille, — c’est M. G. Huszär qui le dit, — ressemble autant à l’idée que l’on s’en formait à la cour de Louis XIII qu’il diffère de la manière dont on le comprenait en Espagne, voilà un singulier raisonnement ! Si Corneille imite l’Espagne, il l’imite, et quand il ne l’imite pas, il l’imite tout de même, car en ce cas, nous dit-on, ce qu’il imite, ce sont les « mœurs de son époque ; » et les mœurs de son époque peuvent être regardées comme « se confondant avec celles de l’Espagne, » ou bien elles sont « absorbées par elle. »

Mais la question est mal posée. La vérité, c’est qu’à ce moment de l’histoire, entre 1580 et 1650 ou environ, « l’esprit contemporain » est sensiblement le même dans l’Europe à peu près entière : je veux dire en Allemagne, en France, en Angleterre, en Espagne, en Italie ; et là, pour décider la question des rapports de Corneille avec le théâtre espagnol, — comme aussi bien dix autres questions de la même nature, — là est précisément le « phénomène littéraire » qu’il s’agirait d’expliquer. Gongorisme ou cultisme en Espagne, marinisme en Italie, préciosité chez nous, euphuisme en Angleterre, tout cela, c’est partout, et à la fois, ce que l’on pourrait appeler une même maladie du langage ; un même idéal de littérature ou d’art qui se précise en s’exagérant : c’est aussi le symptôme et le signal d’une même transformation de 1’« esprit contemporain, » et des mœurs. Corneille n’en est que l’un des représentans. Et au lieu de dire, avec M. G. Huszär « qu’il subit l’influence de son époque