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offre encore de singulières ressemblances avec la scène Xie de la 1re  journée de la Dévotion à la Croix. « Sensible à l’amour d’un côté, accablée de l’autre par le malheur présent, je voudrais en même temps te châtier et te défendre, et dans la confusion mortelle de mes pensées la clémence me combat et le ressentiment me pousse. » C’est la Julia de Calderon qui parle en ces termes à son amant Eusebio, qui reparaît devant elle tout couvert du sang de Lisardo, son frère, et n’est-ce pas aussi le discours que tient Chimène à Rodrigue ? La Dévotion à la Croix avait paru en 1634.

Mais la question plus générale des rapports de la littérature espagnole avec la littérature française est sans doute plus importante encore, et M. A. Morel-Fatio ne l’a guère qu’effleurée dans ses savantes Etudes sur l’Espagne ; M. G. Lanson, dans la Revue d’Histoire littéraire de la France (1896-1897), n’en a touché que la période qui s’étend de 1600 à 1660 ; et c’est également entre les mêmes limites que s’est enfermé M. Martinenche, en écrivant le livre que nous avons cité sur La Comédie espagnole en France, de Hardy à Racine (1900). C’est aussi la même période, et j’ajouterai la même question, — celle des rapports du théâtre espagnol et du théâtre français, — qu’éclairent les recherches de M. P. Morillot sur Scarron, de M. Eugène Rigal sur Alexandre Hardy, de M. G. Reynier sur Thomas Corneille. Mais, trois fois au moins, quatre peut-être, la littérature espagnole a profondément agi sur la notre : — au XVIe siècle, par l’intermédiaire de d’Herberay des Essards et de sa traduction d’Amadis, qui a commencé de paraître en 1540 ; — au XVIIe siècle, par l’intermédiaire, non seulement des auteurs dramatiques, Hardy, Mairet, Rotrou, Corneille, mais aussi par celui des traducteurs de romans, au premier rang desquels il faut nommer Chapelain, et des livres de dévotion, tels que la Fleur des Saints, de Ribadeneira ou la Grande Guide des Pécheurs, de Louis de Grenade ; — au XVIIIe siècle, par l’intermédiaire de Mme d’Aulnoy, mais surtout des « imitations » ou des « adaptations » de Lesage : le Diable boiteux, Gil Blas lui-même, Gusman d’Alfarache ; Estevanille Gonzalez, etc. ; — et enfin, au XIXe siècle, par l’intermédiaire des romantiques ou du romantisme, en général, sous l’inspiration de la critique allemande, des leçons de Guillaume de Schlegel, dans son Cours de Littérature dramatique, et de l’éloge démesuré que son frère Frédéric a fait de Calderon, dans son Histoire