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sans remonter jusqu’aux anciens, — qui croyaient peut-être à l’historicité de quelques-unes des légendes qu’ils ont mises à la scène, telle que celle des Atrides, — Shakspeare, quand il écrit Richard III, Corneille, quand il écrit Rodogune, ou Schiller, quand il écrit Wallenstein, ni ne font de l’histoire un même usage, ni ne semblent avoir eu les mêmes raisons d’en compulser les annales, ni ne s’en sont servis aux mêmes fins. Quelles furent ces fins, ces raisons, cet usage ? On ne voit pas qu’aucun historien ou critique se soit proposé de nous le dire, et voilà sans doute le prétexte ou la matière d’une belle étude de « Littérature comparée. « Il nous suffit aujourd’hui d’en avoir indiqué le projet. Mais si jamais quelqu’un le réalise, nous avons la ferme confiance qu’on ne saurait guère traiter de sujet plus intéressant, — puisse le motif en être un pour des « critiques français ! » — et c’est alors, et alors seulement, qu’on aura pleinement rendu justice à l’auteur d’Horace et de Cinna, de Polyeucte et de Rodogune, de Nicomède et de Sertorius.

S’il ne saurait en effet y avoir, à proprement parler, de « tragédie bourgeoise, » et si même ces deux termes sont aussi contradictoires que le seraient ceux de « vaudeville sérieux, » ou de « farce héroïque, » ce que Corneille a parfaitement vu, c’est que la tragédie ne saurait donc se déterminer dans sa forme qu’en s’encadrant dans le décor de l’histoire. — Si le sujet d’une belle tragédie « doit n’être pas vraisemblable, » et si, comme il le faut, nous entendons par là que les événemens extraordinaires, ceux qui ne se sont vus qu’une fois, sont seuls de son domaine, ce que Corneille a parfaitement vu, c’est que l’histoire seule, en nous garantissant l’authenticité de ces événemens extraordinaires, nous assurait donc de la réalité de ces situations et de ces sentimens extrêmes, en dehors desquels il n’y a jamais eu de tragédie vraiment digne de ce nom. — Si les volontés des hommes ne se tendent, et, comme on disait jadis, ne se « bandent » jamais plus énergiquement que lorsqu’elles entrevoient dans la possession du pouvoir le terme et le couronnement de leur effort, ce que Corneille a parfaitement compris, c’est que l’histoire étant le « lieu » des volontés, l’action tragique, dont le ressort est le déploiement de la volonté, ne se réaliserait donc jamais plus pleinement qu’en s’inspirant de l’histoire. — Si l’intérêt d’émotion que nous prenons aux malheurs de nos semblables est à proportion, non pas du tout de la nature de ces malheurs, puisqu’elle