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de termes, et de tours, et de rapprochemens de mots qui n’appartiennent qu’à eux. Et comme ils n’inventent, comme ils ne peuvent inventer utilement que dans le sens du génie de la race, voilà pourquoi toute étude que l’on fait d’eux, mais particulièrement toute étude comparative, qui ne regarde pas d’abord, qui ne s’attache pas principalement à ce qu’il y a de plus « national » en eux, leur fait tort, ainsi qu’à la littérature dont ils sont les représentans, du meilleur de leur originalité.

Mais c’est aussi pourquoi le livre de M. G. Huszär, qui n’a presque pas égard au style de Corneille, porte, si je puis ainsi dire, à faux, et ne tient pas, ni ne pouvait tenir les promesses de son titre. Dans une étude sur Corneille et le théâtre espagnol, s’il était sans doute intéressant de préciser la nature et l’étendue des emprunts que l’auteur du Cid et du Menteur a pu faire à Lope de Vega ou à Guillen de Castro, ce qui l’eût été davantage encore, — et je crois pouvoir dire ce que l’on attendait, — c’était l’analyse de ce qu’un même sujet devient quand il se réfracte en quelque manière au travers d’un tempérament espagnol ou d’un tempérament français ; et là même, dirons-nous, là surtout, et non ailleurs, est le véritable intérêt des études de « littérature comparée. » Elles ne relèveraient autrement que de la statistique, non de la critique ou de l’histoire de la littérature. Elles ne rendront ce que nous en espérons que si la considération d’art y domine. Et, manifestement, cette considération ne dominera que si, dans ce genre d’études, on fait au mérite éminent du « style, » ou de la forme, et à la recherche des rapports qu’ils soutiennent avec l’esprit d’un temps ou le génie d’une race, la place qu’ils y doivent occuper.

M. Guillaume Huszär dit ailleurs : « La comedia espagnole est fortement imprégnée du caractère national : le théâtre de Corneille n’est qu’un reflet pâle et partiel de l’esprit de son peuple et de son époque... C’est pour ainsi dire malgré Corneille que l’esprit contemporain et national a effleuré de son faible souffle son monde classique ; » et il conclut en ces termes : « Les héros et les idées de Corneille ne sont pas issus du sol natal ; on retrouve en eux le cachet de l’esprit antique et de l’esprit espagnol. Aussi les comedias espagnoles, jaillies de l’organisme vivant d’une nation, ont-elles plus d’intérêt, font-elles plus d’effet et sont-elles plus vivantes que les pièces de Corneille, artificielles et inanimées. » Ce sont autant d’opinions ou de paradoxes