Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des originaux sur leurs adaptations, et qu’ils confondissent « primauté » avec « priorité. »

C’est précisément ce que semble avoir fait M. G. Huszär dans son Corneille ; et, de ce que Corneille n’a « inventé » ni le sujet du Cid, ni celui du Menteur, il en conclut, sans plus d’hésitation, au défaut d’originalité. Disons-le donc encore, et une fois de plus, à ce propos : les études de « littérature comparée » deviendraient trop faciles, et le profit en serait bien mince, pour ne pas dire tout à fait nul, s’il ne s’agissait que de savoir quelle est l’origine des fables ! Tous les commencemens sont humbles, et les plus poétiques fictions ne prennent leur valeur d’art ou leur signification d’humanité, qu’en se chargeant pour ainsi dire de sens, à mesure qu’elles vivent, et qu’en durant elles s’enrichissent de ce qui n’était pas toujours contenu dans leur germe. Il ne suffit pas de descendre aux enfers pour en rapporter la Divine Comédie, mais le principal est encore d’être l’Alighieri. La Dévotion à la Croix ne serait qu’une affreuse histoire de brigands, si Calderon n’y avait ajouté son génie. Mais ce que l’on peut se proposer de rechercher, si ce n’est pas précisément à quelles conditions et comment on devient Calderon, Dante, ou Corneille, c’est du moins en quoi Corneille, Dante, ou Calderon sont en effet ce qu’ils sont, par quelles qualités de leur génie, quel rapport de ces qualités avec le génie de leur temps ou de leur race ; — et là même est le véritable objet de la « littérature comparée. » C’est encore ce que M. G. Huszàr nous paraît avoir un peu perdu de vue dans son livre, et ce que nous résumerons d’un mot en disant que, dans la comparaison des « adaptations » de Corneille avec ses originaux espagnols, il n’a oublié que la question du style.

Je m’empresse d’ajouter que son erreur ne lui est pas personnelle ; et je suis frappé de voir le peu de place qu’occupe aujourd’hui, dans les études d’histoire ou de critique littéraire, cette question du style. On rend justice en passant, pour mémoire ou par acquit de conscience, à « l’écriture » de Corneille, mais du reste, et ce banal hommage une fois acquitté, on parle de Corneille à peu près comme on parlerait de Hardy ou de Rotrou : c’est une suite assez naturelle de l’importance exagérée qu’on attache à la question de l’invention ou de l’originalité, d’ailleurs mal entendues l’une et l’autre. Qui donc a dit que les tragédies de Campistron étaient mieux intriguées que celles de Racine ? Il