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En exprimant avec cette ardeur toute juvénile son amour pour l’homme dont, depuis quelques jours, elle porte le nom, la jeune mariée ne joue pas une comédie. Elle traduit les sensations de son âme ; elle est sincère comme elle ne cessera jamais de l’être en parlant de lui. Quelques années après, elle n’osera plus dire qu’elle l’aime ; mais elle dira toujours qu’elle l’estime et se consacrera à le faire briller en lui attribuant ses propres talens. Le trait est à retenir. Au cours d’une longue vie qui a parsemé sa route de tentations entraînantes, notre héroïne n’a su qu’imparfaitement y résister, et encore qu’on lui ait calomnieusement prêté des amans qu’elle n’a jamais eus, on ne saurait nier qu’elle ne s’est pas piquée, son mari vivant, d’une fidélité rigoureuse à ses devoirs conjugaux, et, son mari mort, d’un attachement durable à sa mémoire. Sa liaison avec Metternich ne peut être mise en doute et pas davantage la passion que lui avait inspirée un grand seigneur anglais dont ses intimes d’alors associaient le nom au sien. Il est également visible que dans son amitié pour Guizot contractée avant qu’elle fût veuve, il y a eu une part d’amour et qu’au total, son cœur, une fois détaché de celui de son époux, a longtemps erré avant de se fixer à la dernière et suprême affection qui embellit sa vieillesse et l’accompagna jusqu’à la tombe. Du moins, convient-il de constater qu’à travers ces aventures de caractères si divers, menées en marge de sa vie, la dignité de son foyer est toujours restée sauve et celle de son mari par conséquent.

Elle a porté beau, s’est fait un visage impassible, n’a rien laissé voir ni rien livré à la malignité publique de ce qu’elle devait et voulait cacher. Ce que l’on sait, on l’a surpris, et sans doute enjolivé ; elle avait l’horreur de l’incorrection, du scandale. Elle n’a cessé de nourrir, plus encore que la crainte d’une déchéance bien improbable dans le monde où elle vivait, l’ardent désir de ne pas être une cause de chagrins pour le père de ses six enfans[1], pour eux-mêmes. Cette préoccupation apparaît en elle toujours si dominante qu’on n’est pas étonné de l’entendre, parvenue à la maturité de l’âge, parler de son mari avec

  1. Cinq fils et une fille qui ne vécut pas.