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Les femmes, invisibles puisque nous sommes en pays de Mahomet, passent ensevelies du haut en bas sous une housse blanche, — et cette housse, le plus souvent, est percée d’une fenêtre ronde, comme une chatière, par où l’on voit sortir la petite tête impayable et charmante de quelque bébé tenu sur les bras.

« Gloire au Nizam ! » C’est inouï tout ce qu’il y a de soies, de mousselines ou de velours tendus au vent, pour glorifier ce prince, en long voyage. Hyderabad exulte dans l’attente de son roi, et depuis huit jours, tout est prêt, même les fleurs que le soleil flétrit. Or, il est à Calcutta, le Nizam, où il se promène dans les rues en gala asiatique, suivi d’une douzaine de carrosses tout dorés. Il ne revient pas, ne donne plus de ses nouvelles, n’en fait qu’à sa fantaisie ; mais cela ne surprend point les Indiens, qui feraient de même, et qui continuent d’attendre. D’ailleurs, aucun danger, hélas ! que la pluie vienne détremper les étoffes légères, les dorures des arcs de triomphe, puisque le ciel n’a plus jamais de nuages.

Chaque jour, à mesure que l’heure avance, le mouvement de la ville, les bruits, les musiques augmentent jusqu’au soir, dans plus de poussière, pour s’apaiser ensuite dès que la nuit tombe.

Continuel va-et-vient de voitures attelées de chevaux, ou de charrettes traînées au trot par des zébus ; pour les mystérieuses dames, ce sont des carrosses en sparterie, ayant forme de nacelle et très enveloppés de rideaux, avec des trous çà et là dans l’étoffe, par où les belles dardent sur la foule leurs grands yeux fardés. Il y a de beaux cavaliers, au bonnet pointu, au turban d’Aladin, qui galopent, la lance en arrêt. Dromadaires de caravanes, processionnant en longue file. Eléphans de peine, tout poussiéreux ou crottés, revenant du travail. Eléphans de luxe, défilant au son des musettes, pour des cortèges de noces, et promenant sur leurs dos les époux, qui sont cachés dans des petites tours aux draperies closes.

On entend la psalmodie monotone des porteurs de palanquin, qui courent d’une allure souple, charriant sur des piles de coussins brodés quelque important vieillard à lunettes, ou quelque grave prêtre en prière. Des mendians se traînent, en haillons couverts de coquillages, des fous inquiétans, qui sont sacrés et qui ont déjà les yeux ailleurs, dans l’autre monde. Des vieux derviches